Entrevue avec Vincent Villeminot

 
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11 octobre 2011

J'ai découvert Instinct grâce à Samia de chez Nathan et j'ai tout de suite eu un coup de coeur pour l'ambiance sombre du roman, les doutes de Ben et, surtout, le personnage coloré et philosophe de Shariff. J'étais curieuse de découvrir l'auteur derrière cet univers et Vincent Villeminot a accepté à mon grand plaisir de répondre à mes questions. Voici l'entrevue! 

L’idée d’Instinct vient de la considération que l’adolescence est une métamorphose. Comment cela s’est-il transformé pour devenir une métamorphose animale?
 
Au départ, disons que je voulais des métamorphoses plus brutes, plus frustes que les avatars que j’avais déjà « pratiqués » dans un roman précédent d’héroïc fantasy. Mais ce qui m’intéressait surtout dans l’idée de métamorphose animale, c’étaient d’une part les questions que cela m’offrait, sur l’âme, l’esprit, la rationalité et l’instinct; d’autre part, le fait que ces métamorphoses (ou hybridations) homme-animal sont une croyance très ancienne et presque universelle, ce qui me permettait de bâtir toute la mythologie de la Grande Bibliothèque.
 
Vous donnez beaucoup de références littéraires sur les métamorphoses dans le premier tome. Est-ce des titres que vous avez vous-même consulté lors de votre préparation?
 
Je n’ai pas l’érudition de Shariff. J’ai lu certains livres qu’il cite, mais je me suis aussi beaucoup documenté, sur internet et en bibliothèque, pour lui composer une culture métamorpanthropique, et une sagesse humaine, infiniment plus grandes que les miennes. A côté de lui, je me contente de faire illusion.
 
Vous souhaitiez planter le décor dans les montagnes qui vous entourent. Qu’est-ce que cela a amené comme inspiration?
 
Le fait de situer une action dans un décor assez « vierge » m’importait. Il ne reste plus guère de paysages où l’homme vit et qu’il n’a pas radicalement transformés. La montagne, quoique domestiquée, garde cette espèce de sauvagerie. Et dans cette histoire où mes personnages sont confrontés à une sorte de « sauvagerie native » inscrite en eux-mêmes, cela me semblait intéressant de les faire évoluer dans des conditions parfois âpres, toujours grandioses et peu malléables. Le contraste avec les labos du Tome 2, aseptisés, n’en est que plus fort. Par ailleurs, je trouve que la littérature jeunesse manque souvent de décors réalistes voire réels, de lieux
qui vont induire des comportements, des contraintes et des libertés.

Mes personnages évoluent dans toute l’Europe (et même aux États-Unis et au Canada dans le tome 3), ils se baladent, mais ils sont contraints par des cols, par les saisons, par les distances, le besoin de trouver un transport, la capacité à évoluer « into the wild »; et ils communient aussi avec les paysages qui les entourent. J’aime assez les livres qui commencent par présenter un lieu, une ville, une vallée : on commence une histoire comme si on arrivait quelque part, comme si on sortait d’une gare et qu’on découvrait un nouveau territoire.
 
Où vous êtes-vous inspiré pour créer le personnage si particulier qu’est Sharrif?
 
Je ne sais pas. Shariff est un monstre, et aussi mon « fils » préféré depuis que j’écris, le personnage le plus improbable et le plus attachant que j’ai créé, je pense. Au départ, je suis parti de l’idée d’un personnage contraint par une métamorphose peu reluisante, et dont le cycle de métamorphose était très court. Cela induisait une force de caractère peu commune, pour vivre malgré de tels handicaps, et l’humour me semblait la meilleure force vitale. Quant à sa culture monstrueuse, elle est venue ensuite… Mais la première fois que j’ai parlé de Shariff à mes éditrices, elles doutaient franchement du résultat.
 
Vous dites que vous souhaitez amener une certaine dureté dans la littérature jeunesse. Pourquoi ?
 

D’abord parce que pour faire une bonne histoire, il faut des méchants, des affrontements. Et dans ce cas, je trouve qu’il faut ne pas tricher. Et puis, le spectacle du monde est dur, et nous avons tous perdu une certaine innocence par rapport à cela – Tant mieux, nous voyons le monde tel qu’il est – mais cela reste un spectacle dispensé à travers un écran, virtuel. Quant aux distractions qu’on nous propose (videogame, cinéma, etc), elles mettent en scène un univers assez violent, mais là encore par écran interposé, et désincarné. Ce qui m’intéresse dans cette histoire est d’embrasser ce monde assez dur, assez violent, de façon documentée (les trafics, la drogue,
les expérimentations, …) mais précisément de l’incarner corps et âme. Si je suis confronté à la mort d’un ami, qu’est-ce qui se passe? Si j’affronte un ennemi et que je le tue, puis-je en sortir aussi indemne que cela? Si je suis sommé de me battre, est-ce si simple?
 
D’après vous, est-ce que la littérature jeunesse doit être porteuse d’espoir?
 
J’ai été assez frappé de rencontrer pas mal de jeunes lecteurs qui disaient lire de la fantasy parce que leur propre vie leur semblait ennuyeuse et qu’ils voulaient s’en évader… Pour moi, une littérature porteuse d’espoir, ce sont des histoires qui donnent à leurs héros le choix d’agir. L’univers d’Instinct est cruel, mais ses personnages ne sont pas résignés, ils essayent de conserver une liberté et une possibilité de s’emparer de leur vie malgré les drames, les deuils, et tout ce qui les entoure. En ce sens, oui, c’est « espérant ». Et je préfère désormais pour cela le fantastique à la fantasy, parce que le terrain du choix, c’est le « réel », pas un monde fantasmé.
 
Pensez-vous que le public adolescent se retrouve davantage dans un récit plus sombre?

 
Je pense que depuis les premiers récits, l’affrontement et la mort sont des éléments centraux de bonnes histoires, parce que ce sont des horizons difficiles à ignorer pour un être humain. On aime se faire peur, on aime aussi parler de l’adversaire – et l’adversaire, c’est la mort, non?

À chacun ensuite, lecteur comme auteur, de ne pas se complaire dans ce qui relève de la cruauté, ou dans le spectacle de la violence. Mais un récit sombre sert aussi à rehausser, par contraste, certains personnages ou certains moments lumineux.
 
Étiez-vous vous-même attiré par les récits plus obscurs à l’adolescence?
 
Pas davantage qu’aujourd’hui, et pourtant j’ai 39 ans, l’adolescence est un souvenir lointain. Mais oui, j’ai toujours aimé les histoires dures, et les plongées dans la nuit. Pourvu qu’il reste une lumière.
 
Pourquoi avoir choisi de changer les points de vue dans le deuxième tome ? Est-ce que cela vous a permis une plus grande liberté dans l’écriture?
 
Cela participe de la trilogie. Dès le Tome 1, on passait du point de vue de Tim à celui du trio. Dans le Tome 2, puisque l’action s’élargit à d’autres personnages de l’Institut, je voulais aussi entendre leur point de vue, leur regard sur les choses. Je leur donne un « droit de réponse », en un sens. Comment pense un traître? Pourquoi trahit-il? Donnons-lui la parole…
 
Comment se passe l’écriture du troisième tome? Est-elle plus facile que les deux premiers puisque vous connaissez bien les personnages? Plus difficile parce que vous allez les quitter?
 
Disons que je connais bien mes personnages, mais que du coup, je ne dois pas me louper, ne pas leur prêter des sentiments qui ne seraient pas les leurs. C’est un peu délicat parce que des évènements importants se sont produits à la fin du Tome 2, qui les ont laissés bouleversés, voire traumatisés. Et c’est tout l’intérêt d’une trilogie : les personnages doivent changer, en fonction de ce qu’ils vivent et traversent, tout en restant fidèles à eux-mêmes. Mais quant au problème de les quitter, j’écris actuellement les vingt dernières pages du Tome 3, et j’ai effectivement tendance à trainer sur la fin, parce que j’ai envie de rester encore un peu avec eux.
 
Est-ce un effort pour vous d’écrire ou l’inspiration est-elle toujours au rendez-vous?
 
Pour moi, l’inspiration n’est pas un vrai problème. La question, c’est de se mettre devant l’ordi, et d’écrire, tous les jours, avec opiniâtreté. Un écrivain, c’est d’abord un type têtu, qui va au bout de son histoire, et met le mot de la fin. Après, il arrive qu’on fasse fausse route, mais alors, on le sent, on jette ce qu’on a écrit, et on recommence. A mes yeux, l’écriture n’est pas un effort, mais plutôt un problème d’énergie. Certains jours, on n’a pas vraiment la grinta, l’énergie de porter une histoire, tout ce qu’on fait est fade, faible. D’autres fois, le punch est là.
 
Est-ce que l’histoire du troisième tome était déjà prête au moment de commencer l’écriture de la trilogie?
 
Oui, il y avait un synopsis complet d’une soixantaine de pages qui racontait toute l’histoire d’Instinct, avant la première ligne du premier tome. Mais cela dit, je m’en éloigne toujours, à chaque tome, pour quelques chemins de traverse, au risque sinon d’être sur une autoroute, ennuyeuse. Et en l’occurrence, la fin que je suis en train d’écrire n’était pas exactement celle que j’avais prévue. Je ne sais pas si c’est l’histoire, mon humeur, les circonstances qui décident, mais je constate!
 
Êtes-vous surpris de là où sont rendus vos personnages?
 
Non. Mais je suis très fier de ce qu’ils ont réussi à devenir, en dépit de tous les obstacles que je leur ai opposés, de tout ce que j’ai pu leur faire subir.
 
Rafale lecture !
 
Enfant, étiez-vous un grand lecteur?
 
Un lecteur boulimique. Il arrivait à mes parents de devoir me « priver de lecture », pour une journée ou une semaine, histoire de me ramener à la réalité domestique, ou de me forcer à dormir la nuit.
 
Qui vous a donné le goût de lire?
 
Personne ne m’a donné ce goût, j’ai été très vite le plus gros lecteur de la maisonnée. Mais j’ai en revanche grandi dans des maisons pleines de livres, aussi bien chez moi que dans les maisons de vacances.
 
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? Pouvez-vous nous expliquer ce lien?
 
Je dirai que les livres m’accompagnent. Ils font partie de ma vie quotidienne, je lis au moins quelques pages chaque jour, parfois j’y passe la journée (et l’ordi peut attendre!). Certaines lectures sont un bon moment, ou une surprise, ou une pause agréable, certaines sont une vraie part de ma vie, de ma mémoire, certaines pages que j’ai lues ont la même importance que des souvenirs réels, ou que certains amis croisés sur la route.
 
Quel est votre livre préféré?
 
En un combat douteux, de John Steinbeck. A lire absolument, une fois par an.
 
Quel roman a marqué votre adolescence?
 
Crime et châtiment, de Mihail Fiodor Dostoievski. J’ai dû lire ce livre dix fois entre 14 et 20 ans, comme hypnotisé. Cela parait une lecture très « adulte », quand j’y pense, mais dans ma jeunesse (!), il n’y avait pas véritablement de littérature jeunesse, on passait de la bibliothèque verte à celle de ses parents. Du moins, dans mon cas.
 
Quel est le livre sur votre table de chevet?
 
En ce moment, Nicolas Bouvier, l’intégrale de ses œuvres, des récits de voyage, dont L’Usage du monde; et Jean Rolin, Traverses, une diagonale de « choses vues », dans un voyage en train et à pied, à travers des zones… C’est assez loin de l’univers d’Instinct, non?

Mais quand je suis en dernière phase d’écriture, je préfère lire ces récits que des romans, cela se déguste par petites gorgées, tous les soirs.
 
Dans quel endroit préférez-vous lire?
 
Sur un lit.
 
Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous?
 
Un récit de voyage, pour la surprise qui m’attendrait à la prochaine page, comme dans les vrais voyages. Ou un livre de Dany Laferrière, pour la beauté des paysages, des visages, l’odeur du café, des repas, … J’aimerais être dans ces livres. Quant à être un livre…
 
Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui ont aimé les deux premiers tomes d’Instinct, outre celle d’attendre avec impatience l’arrivée du troisième?
 

Un livre qui les déroutera, parce qu’ils n’auront jamais rien lu de tel. Au choix! Et un Steinbeck, s’ils n’en ont jamais lu… Rien à voir avec Instinct, mais ça, c’est vraiment de la très grande et belle littérature.
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