L'étrange zoo de Lavardens

Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse

Le vicomte Lavardens possède un manoir abandonné qu’il retourne voir chaque dimanche. Un jour, il lui vient l’idée de créer un zoo autour du château. Alors tout se met en branle : il parvient à faire venir des éléphants, un rhinocéros blanc, des flamants roses, des perroquets, bref toute une ménagerie qui attirera des gens de partout. Le vicomte, heureux et fier, adore par-dessus tout ses animaux qu’il libère de leur cage le soir venu afin qu’ils puissent se dégourdir.

Bien vite, toutefois, les bêtes se retrouvent dans la maison, utilisent les canapés, le bain, en somme s’acclimatent à la vie de château. Sans grande surprise, cette présence crée certains désagréments, si bien que la belle-mère du vicomte exige des animaux qu’ils se comportent comme des gens civilisés, qu’ils apprennent les bonnes manières et se présentent en habits lorsqu’ils entrent dans le manoir. Cette humanisation crée un nouveau problème puisqu’ils ne veulent plus poser « nus » - sans vêtements - devant les visiteurs. La belle-mère fait alors confectionner des masques afin de conserver leur anonymat, ce qui donne des kangours, des flamanbra, des tortafe et plus encore.

Fidèle à son habitude, Thierry Dedieu explore des zones inconnues, défait les préjugés et bouscule nos aprioris. Les lecteurs plus âgés seront épatés par le récit fantasmagorique, par cette route qui explore l’anthropomorphisme.

Mon avis

Il s’agit d’abord d’un album qui nous fait perdre nos repères. Bien vite, nous sommes absorbés par cette histoire aux contours étranges, par des personnages qui défient les lois de la nature, par un texte qui, si bref soit-il, est percutant, juste, ciselé. En plus de cette trame tout à fait particulière, il faut voir les illustrations sur fond sépia, un mélange de photographies, de fusain, bref un montage photo qui nous propulse dans un univers parallèle auquel on veut adhérer. Le grand format laisse place à des illustrations pleine plage qui occupent l’essentiel de l’espace. Cette façon de faire happe le lecteur qui est attiré par l’étrangeté de ce qu’on lui propose. Par l’utilisation du photomontage, l’auteur joue d’ailleurs sur cette ligne entre le vrai et le faux, entre l’onirisme et la réalité. Il faut voir la remarque du narrateur lorsque les animaux sont présentés avec leur masque : « Ces derniers étaient si parfaits que les créatures ainsi créées semblaient tout droit sorties d’un livre pour enfants. » Quelques photographies sont par ailleurs ajoutées en fin d’album, sous lesquelles le vicomte a signé quelques commentaires. Par exemple, la girafe au masque de rhinocéros se fait photographier par un homme monté sur les épaules d’un autre afin d’arriver à auteur d’animal :

« Venus du monde entier, les photographes rivalisaient d’ingéniosité pour produire les meilleurs clichés ».

Nous pouvons voir aussi la photo d’une petite fille assise sur le dos d’un crocodile à tête de chameau sous laquelle il est inscrit :

« L’attraction la plus appréciée des enfants était sans contredit le tour du parc à dos de chamodile. »

La frontière reste floue et cet aspect ajoute à l’intérêt de ce magnifique album.