Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
Gargantua, célèbre géant, héros bien connu de François Rabelais, est une figure mythique qui a su marquer la littérature depuis le 16e siècle. Ce héros, né de façon peu commune, en l’occurrence par l’oreille gauche de sa pauvre mère Gargamelle, resta 11 mois dans le ventre de celle-ci, car comme nous le savons, « les femmes peuvent porter aussi longtemps le fruit de leurs entrailles, voire davantage, quand ils s’agit d’un chef-d’œuvre, d’un personnage promis à une grande destinée ». Plutôt enclin à s’empiffrer de bonne chairs, de « quelques douzaines de jambons, d’andouilles, de langues de bœufs », il a reçu une très bonne éducation à Paris, a fait bâtir l’abbaye de Thélème dans laquelle tout était permis, en plus de renverser l’armée de Picrochole et d’ainsi rétablir la paix dans le pays de son père Grandgosier. Cette adaptation du conte de Rabelais est présentée en 15 chapitres, ou tableaux, qui retracent les grands moments de la vie de l’ogre. Christian Poslaniec a choisi des passages dans l’œuvre originale et traduit le texte du vieux français. En plus d’initier les lecteurs à un chef-d’œuvre de la littérature française, cet ouvrage déborde de références au contexte idéologique de l’époque, à l’humanisme, à l’ouverture sur le monde amorcé déjà avec les explorateurs. Il s’agit d’un texte qui rejoint les plus grands pour la subtilité de la langue et la profondeur du propos.
La Renaissance, et la soif de savoir qui a habité cette époque, a vu naître des auteurs qui ont su parler, parfois de façon étonnante, du monde qui se transformait alors. Rabelais, par l’entremise de ce Gargantua et des thèmes mis en scène, met en lumière le renouveau alors nécessaire à l’humanité. Les différents personnages en font foi, le frère Jean en tête, lui qui exprime une vision et un modèle tout à fait différent et contraire à l’image austère en place. « Dans l’abbaye, il y avait un moine nommé Frère Jean des Entommeures, jeune, altier, joyeux, hardi […] fort en gueule, bien avantagé en nez, beau débiteur de prières, bel expéditeur de messes…Pour tout dire, un vrai moine s’il en fut jamais depuis que le monde moina de moinerie ». Le vocabulaire direct, à la fois précis et métaphorique, et le style délicieusement tourné donnent à voir et à saisir le caractère des personnages véritablement plus grands que nature. L’abord est facilité par le choix des extraits qui restent simples, délestés de toute fioriture laissant la place à l’action sans pour autant brouiller l’essence du propos. En ce sens, l’adaptation est réussie. Le tout est agrémenté des illustrations ou plutôt des tableaux de Ludovic Debeurme, dont le trait grotesque colle parfaitement à la démesure de Rabelais. Ce titre est d’ailleurs paru dans une collection qui regroupe plusieurs classiques, notamment Peau d’âne de Charles Perrault, La Belle et la bête, conte mis à l’écrit par Madame Le Prince de Beaumont, tout deux illustrés par Anne Romby ou encore Don Quichotte d’après l’œuvre de Cerventès dans lequel les illustrations de Vassilev Svetline rappellent le coup de pinceau de Van Gogh.
Voilà donc une adaptation brillante et une collection magnifique à découvrir, si ce n’est déjà fait.
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