Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
« Le corps d’un homme avait été retrouvé. Sans vie. À moitié dévoré. Il lui manquait les deux jambes, et son ventre avait été fouillé ». Il n’en faut pas plus aux hommes du village pour aller tuer le responsable de cet acte, Kibwé le lion. Mais si tout le clan acclame le retour des guerriers vainqueurs, Yakouba, grand ami du félin, « tomba sur ses genoux, terrassé par la douleur, et de ses entrailles sortit un cri déchirant, si profond, si puissant qu’il n’avait plus rien d’humain ». Il décide alors de quitter le village en compagnie de la tête du lion, porte-étendard de sa nouvelle condition. Vivant dans un abri de fortune, à la jonction entre les territoires des lions et ceux des hommes, il mène une vie de reclus, mi-homme, mi-bête, chassant quiconque voudrait s’approcher de lui. Solitaire et défenseur de la dignité jusqu’à sa mort, Yakoubwé reste dans la mémoire des Africains. D’ailleurs, les humains ont « dit que l’esprit de Yakouba est dans chaque lion et c’est pour cette raison qu’on ne les chasse plus ».
Dedieu nous offre ici un conte sur le courage, la force de caractère et la volonté d’aller au bout de soi-même. Des thèmes qui rejoignent assurément les adolescents.
Ouvrir un album de Thierry Dedieu, c’est plonger dans un univers qui, à coup sûr, saura nous déconcerter. Mais quel univers ? En fait, cet auteur et illustrateur est particulièrement habile dans la mise en scène de mondes distincts, mais toujours portés par des thèmes forts et riches, qui ouvrent à la discussion. Il faut savoir que Yakoubwé clot une trilogie amorcée avec Yakouba (1994) et Kibwé (2007) dans lesquels nous avons pu suivre l’évolution de l’amitié entre les deux personnages, mais que cet album peut aussi se lire pour lui-même. Dans ce troisième titre, la mort du lion assomme Yakouba, qui préfère se retirer de ces clans opposés et meurtriers. La fusion entre les deux entités - homme et lion - pousse à son paroxysme l’espoir d’une réconciliation entre les deux clans. Les illustrations monochromes, notamment les ombres accentuant la violence des scènes, et, bien sûr, les plans qui varient selon l’action, ajoutent à l’effet dramatique de l’ensemble. Il faut voir par exemple le dos sombre de Yakouba, tirant la tête de Kwibé laissant derrière lui une longue trainée noire. Le rouge, même absent, est plus que jamais palpable. Voilà un album puissant, écrit avec simplicité, brièveté, mais intensité. Chaque mot, chaque phrase résonne et exprime toute la rage, la folie et la « douleur immense, sans limites » de cet homme-lion.
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