Camille et Sarah ont toujours tout vécu ensemble, se sont toujours tout raconté. Et pourtant, quand elles se mettent à faire des recherches sur internet pour un exposé sur la malbouffe, leurs chemins se séparent. Alors que Sarah reste plus critique devant les vidéos de plus en plus axées vers le conspirationnisme, Camille doute, veut en voir plus, se met à croire ce qu’on lui dit. Elle devient d’abord plus froide, se met à juger les agissements de son entourage, puis semble se retirer de la vie occidentale. Sarah ne comprend rien à ce qui se passe jusqu’à ce qu’elle voit Camille vêtue d’un niqab. La musulmane saisit alors : sa meilleure amie s’est radicalisée, elle a l’esprit complètement obnubilé par Allah et... Daesh. La seule vraie voie selon elle. Comment l’aider à comprendre qu’elle a été embrigadée et que ceux qui se disent ses amis, sa famille, ne veulent faire d’elle que de la chair à canon?
Hyper actuel, ce roman est porté par les voix de Camille et de Sarah, chacune racontant sa version de l’histoire. Le récit montre dès lors chacune des étapes menant à la radicalisation ainsi que toutes celles qui suivent pour chacune des protagonistes, l’embrigadée elle-même, mais aussi la meilleure amie. Rythmé par les changements de narration et captivant, ce livre peut convenir à tous les lecteurs.
J’avais peur que le roman soit trop didactique, qu’on sente l’adulte derrière la voix de l’adolescente comme c’est souvent le cas avec des romans plus documentaires, nés de la volonté d’informer. Avec son bandeau noir et la citation de l’auteure, c’est d’ailleurs ce que semblait indiquer la couverture, mais j’ai vite été rassurée. En fait, Dounia Bouzar a réussi son pari : tout en informant le lecteur, en lui montrant comment peut se passer la radicalisation et quelles sont les pistes pour aider la personne à redevenir elle-même ensuite, elle a créé des personnages auxquels on croit. Oui, on sent son expérience, l’auteure étudiant depuis de nombreuses années le phénomène de la radicalisation et ayant bâti son récit sur de nombreux témoignages d’adolescents ayant vécu la radicalisation ou ayant été proche de quelqu’un qui l’a vécu, mais ce n’est jamais trop appuyé. En Camille et Sarah, le lecteur peut se reconnaitre. L’intérêt pour les vidéos complotistes est un peu rapide, mais on comprend qu’il suffit d’une fragilité, d’un moment où on se cherche pour se faire attraper dans les mailles du filet. Au fil du récit de Camille, on voit agir la cellule terroriste derrière, comment ses membres s’adaptent à chacun, comment ils modulent leur promesse, comment les réseaux sociaux créent des liens forts, quasiment inattaquables de l’extérieur. C’est à la fois terrifiant et nécessaire, ne serait-ce que pour avoir un regard plus éclairé si jamais un tel évènement se produit dans notre entourage. Bien sûr, il n’y a aucune recette pour aider quelqu’un qui se fait embrigader, mais ce roman donne des pistes solides, des outils pertinents. Vraiment, c’est à lire et faire lire!
Sophielit est partenaire des Librairies indépendantes du Québec (LIQ). Cliquez ici pour plus d'informations sur ce partenariat.
Nouveau commentaire