Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse
Docteur Jekyll, éminent médecin, se prend d’intérêt pour l’étude de l’homme, mais plus particulièrement pour la dualité qui existe en chacun de nous. Le bon et le mauvais, la raison et l’émotion. « L’être humain est double », ce qui fascine le héros. Il lui vient alors l’idée de séparer ses deux constituantes. L’une, totalement libre, pouvant répondre à ses instincts, l’autre tranquille, sereine, délaissée de cette tension qui tend toujours à confronter les deux
. « La part injuste aurait pu aller de son côté, libérée des ambitions et des remords de sa jumelle, tandis que la part juste aurait accompli avec constance son ascension, sans risquer de retomber dans la disgrâce de l’autre. »
Grâce – ou à cause – de quelques potions concoctées, il réussit cet exploit, divisant son être quand bon lui semble, permettant à Hyde d’assouvir ses pulsions et à Jekyll de rester un homme bon et respecté. Mais le semblant de contrôle qu’il croit détenir au départ s’étiole peu à peu, laissant la puissance intraitable de Hyde détruire l’équilibre déjà bien précaire.
Le thème de l’homme dans ce qu’il a de fort, de bon, mais aussi et surtout de mal et sa complexité légendaire saura rejoindre les plus grands. Bien que Jekyll ait voulu accorder une entité propre à chacune des forces qui fondent l’humain, Hyde et Jekyll restent intimement liés par le corps.
Histoire bien connue, la double identité de Jekyll a produit mille et une adaptations, qu’elles soient cinématographiques ou littéraires. Celle-ci, parue chez Milan, est d’une élégance enviable. L’adaptation et la traduction de Maxime Rovere, sobres et simples, respectent l’essence de l’œuvre sans la dénaturer. Bien sûr, beaucoup de descriptions ont été gommées, le style quelque peu transformé, on délaisse les formules longues, mais le ton classique nous permet de plonger dans cet univers à la fois chic et lugubre sans perdre au change. Le texte a par ailleurs été divisé en trois parties importantes. Une première dans laquelle on nous raconte « l’étrange affaire » qui secoue la ville, une seconde qui nous rapporte les explications du regretté docteur Lanyon et, enfin, une récapitulation de l’affaire par Jekyll lui-même.
Cette adaptation ne serait toutefois pas ce qu’elle est sans les illustrations de Sébastien Mourrain. La couverture, d’abord, frappe par son symbolisme. Au centre d’un fond tout noir trône un étrange papillon. Son côté gauche révèle une aile colorée alors que celle de droite, sombre, laisse entrevoir un regard menaçant et une bouche diabolique. La métamorphose se perçoit d’un coup d’œil. Puis, au fil des pages, le crayonné noir et blanc, teinté de quelques éléments d’un jaune vif, procure une atmosphère mystérieuse. La variation des angles et des plans jouent aussi sur l’effet dramatique déjà présent dans le texte. Voilà une version riche de sens.
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