Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
Sous forme de missive envoyée à sa mère, Jésus Betz raconte sa difficile, mais admirable traversée, depuis sa naissance jusqu’à la rencontre de la femme de sa vie. Homme tronc à la mémoire vive, œil de lynx et voix de soprano, il décroche d’abord un boulot de sentinelle accroché au mât d’un navire jusqu’à ce que les matelots le rejettent. Recueilli ensuite par la bonne et généreuse Mamamita, il travaille avec elle pour Max Roberto, canaille qui les exploite jusqu’à la mort de la bonne femme. Jésus quitte alors ce monde humiliant avec le tendre Pollux, homme tronc qui a la chance d’avoir ses bras. Avec lui, il découvre le cirque puis, surtout, Suma Katra, « une fée qui se plie et se tend en douceur. Une fée qui s’enroule et tournoie en souplesse, en totale harmonie avec la mélodie de l’orchestre. » Une trapéziste qu’il rencontre le 28 février 1919. Le 3 mars, ils savent qu’ils sont fait l’un pour l’autre, quittent ce cirque et montent un numéro qui mélange sa voix et les chorégraphies « périlleuses et invraisemblables de Suma ».
Dans cet album intemporel, Fred Bernard et François Roca exploitent les thèmes de la différence, du rejet et mettent surtout de l’avant ceux de l’adversité et de la résilience. Les grands seront particulièrement touchés par la force de caractère de ce petit garçon qui, malgré les embuches et le parcours improbable, réussit à devenir un homme fier et fort.
Fred Bernard et François Roca fêtent cette année 20 ans de collaboration. Depuis leurs débuts, ils créent des histoires intenses, toujours portées par une grande humanité. Que ce soit Rose et l’automate de l’opéra, Le train jaune ou même Le jardin de Max et Gardénia, les albums de ce duo incomparable font honneur à la littérature jeunesse et à ses lecteurs.
Le texte de Jésus Betz, par sa forme épistolaire, permet d’entrer au cœur du vécu du garçon, de sentir pleinement sa souffrance et, par-dessus tout, sa force. Il faut dire que la puissance évocatrice des illustrations de François Roca joue pour beaucoup dans l’attrait de l’ensemble. À la fois sombre, grave, à la limite du grotesque et, paradoxalement, lumineux, le trait de Roca saisit par son réalisme et émeut par sa poésie. Le jeu de contraste omniprésent entre la lumière et l’ombre participe de ce paradoxe qui nous happe à la lecture de l’image. Un heureux mélange de douceur et de dureté, une fusion naturelle entre le malaise et l’attendrissement nous suit tout au long du périple. Les amateurs de ces grands artistes seront d’ailleurs choyés cet automne, car le duo fera paraitre chez Albin Michel un livre intitulé Créateurs d’aventures, un album rétrospective dans lequel on retrace leurs années de travail. À découvrir !
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