« Je n’ai rien. Ni rêve ni chien. La nuit, je m’endors la tête vide, dans les bras silencieux de maman. Les mots me manquent. Cela fait si longtemps que les livres ont disparu, nous n’avons plus la moindre histoire à partager […] un matin pourtant, tout à changé, quand elle est tombée du ciel. »
Dans un pays dirigé par un dictateur, un jeune garçon met la main sur un bout de papier en grande partie brulé. Curieux, il tient à savoir d’où vient cette « page sauvage, illisible » qui sent encore la fumée. Il marche un moment, se rend de l’autre côté de la montagne, à la ville, où il aperçoit une colonne de fumée noire s’échappant au-dessus des maisons. « Au milieu de la place brulent pêle-mêle : les grands rois de jadis, les éléphants, les épices, les étoiles lointaines et les secrets de vers à soie. »
C’est toute l’histoire du peuple que le Sultan a réussi à effacer avec « une seule allumette ». Au milieu de tout ce fouilli, le garçon trouve un autre bout de papier sur lequel quelques mots ont été épargnés. Puis un autre et un autre. Alors, uni dans une même volonté d’assurer la survie de son culture, de son histoire, tout le peuple ramasse un morceau de charbon et retranscrit les mots sur le mur blanc du palais jusqu’à le faire tomber. L’histoire pourra enfin se reconstruire.
Soulevant les thèmes de la dictature, de l’Histoire, de la survie d’une culture et d’un peuple, Gilles Baum transporte ici le lecteur au cœur d’une actualité toujours aussi criante. La portée du message, la richesse du texte et la force des illustrations créent un effet de sens qu’ils sauront apprécier.
Gilles Baum met en lumière l’insensibilité d’un dictateur, la barbarie et la force du peuple. Dans un texte empreint de poésie, soutenant ainsi l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau, appuyant le discours espérant du garçon et la solidarité, Baum s’allie le talent de Barroux, qui illustre de façon signifiante ce thème porteur. Jouant avec des traits de pinceaux révélant la violence du brasier, les actions entreprises par le Sultan insensible, Barroux – que l’on a aussi vu notamment dans Une guerre pour moi (400 coups) – utilise la couleur pour mettre son sujet en évidence. La fumée noire tranche par exemple sur un ciel bleu. De même que les mots noirs contrastent sur la pierre blanche du palais. Son trait porte la rage, tout comme l’espoir du peuple. Il faut voir aussi les angles qui jouent pour beaucoup dans l’effet signifiant de l’ensemble. Au moment où le peuple « est penché sur le mur à écrire fiévreusement. À écraser du charbon. À faire revivre les éléphants et les rois en habits de lumière » le palais penche sur la droite, une partie déjà en dehors de la page.
Dans la même veine, on se souviendra que Thierry Dedieu a soulevé le thème dans son album Le caillou, titre fort paru en janvier 2016.
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