Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
À douze ans, Elfina, petite paraguayenne, est invitée à aller vivre dans la métropole, Asuncion, avec sa tante et son oncle qu’elle ne connaît pas. Un avenir brillant l’y attend, dit-on. Là, elle pourra faire de bonnes études et ainsi éviter d’être au service et à la merci des autres. Cependant, peu de temps après son arrivée, Evoala, sa tante, lui annonce que toute la famille part vivre à Montréal et qu’elle sera du voyage.
Rapidement, la fillette, assignée aux différentes tâches ménagères et confinée dans la maison, voit son rêve s’évanouir. Bernée, Elfina se promet de venger cette trahison.
Le côté sombre de l’histoire de Cendrillon n’existe pas que dans les contes de fée. Le personnage popularisé par Perrault au 17e siècle trouve écho encore et abondamment aujourd’hui dans nos sociétés supposément civilisées. Selon l’Organisation Internationale du Travail, il y aurait 250 millions de jeunes entre 5 et 17 ans qui servent de main d’œuvre bon marché. Servilité qui les empêche par ricochet d’accéder à l’éducation.
Cet album saura rejoindre les adolescents par l’actualité du thème, tout en leur permettant de prendre conscience de l’injustice et de la douleur que vivent beaucoup de leurs pairs.
Les éditions Isatis lancent cet automne la toute nouvelle collection de romans graphiques et de livres illustrés pour les adolescents, « Griff » dans laquelle auteurs et illustrateurs aborderont des sujets prenants, mettront en scène des thèmes engagés qui bousculent les horizons d’attente. Les quatre saisons d’Elfina et Pourquoi les filles ont mal au ventre ? ouvrent la voie à cette collection prometteuse.
Alternant entre les procédés de la bande dessinée et la narration conventionnelle, Les quatre saisons d’Elfina, offre d’entrée de jeu une présentation graphiquement rythmée. L’ouvrage est notamment divisé en quatre parties épousant le parcours de l’héroïne tout en offrant des phylactères et des cases. Les illustrations singulières de Christine Delezenne, jouant de contraste entre le noir, le blanc et quelques touches de bleu, appuient par ailleurs la froideur, le réalisme et la dureté du thème. L’illustratrice parvient avec peu de détails à mettre en scène une émotion, à nous transporter au cœur de l’action et de la réalité vécue. Il en est ainsi aussi pour l’écriture d’André Jacob. L’auteur va droit au but sans effusion, nous permettant de sentir la douleur et la rage de la jeune fille.
Toutefois, si cette histoire invite à réaliser l’ampleur du drame vécu par beaucoup d’adolescents, la finale, bien que tout à fait plausible, tombe malheureusement dans des roulières. En fait, tout comme Cendrillon qui s’en sort à la fin, Elfina, aidée non pas d’une fée, mais d’un prêtre, parvient aussi à se défaire de sa misérable condition. L’espoir d’une vie meilleure est souhaitable et bien rendue ici, mais pour une vie sauvée, combien encore de gaspillée ?
L’impossible accès à la lumière aurait tout aussi pu être mis en scène et ainsi souligner de façon plus percutante encore cette réalité. Il faut toute de même noter l’ajout d’un prologue dans lequel Jacob explique que l’histoire d’Elfina ne dit pas tout. Il aborde alors la réalité du travail forcé, le pourquoi d’une telle situation et plus encore. Le côté documentaire ajoute assurément à la fiction, ici.
On suivra de près les publications de cette collection.
Sophielit est partenaire des Librairies indépendantes du Québec (LIQ). Cliquez ici pour plus d'informations sur ce partenariat.
Nouveau commentaire