Il y a d’abord l’histoire d’une bande d’amis qui auraient pu, tous, être les têtes de Turc de leur école. « Un petit black rond et chauve comme un œuf, une grande fille baraquée et mutique, un feuj fragile au gabarit de fillette et moi, le rebeu malingre boutonneux et frisé. » Mais aussi Stan, dit l’Enchanteur, magicien des mots, des combines, des rêves, capable de savoir quelles ficelles tirer pour satisfaire les besoins des uns tout en protégeant les autres, de faire croire l’inimaginable. Dans cette histoire, il y a Daniel qui se meurt et qui a demandé un miracle, une pièce de théâtre qui se monte, des adolescents qui deviennent des hommes.
Et puis il y a l’histoire d’une ville déchirée entre les bandes, entre les âges, une ville avide de violence qui crée un monstre et se nourrit de la peur. Un commissaire sur les dents, une fête qui promet d’être inoubliable et de la haine, portée par des hommes politiques qui s’appuient sur des jeunes en quête d’idéaux. Mais Stan a prévu un miracle. Et miracle il y aura.
Stephen Carrière signe un roman fantastique qui fait des clins d’œil tant aux classiques de la littérature qu’à des œuvres plus contemporaines, entrainant ses lecteurs dans une quête riche, mais complexe, dans laquelle se croisent de nombreux personnages. Pour grands lecteurs!
« C'était peut-être ça le grand secret de Jenny : chez les Baranov, on était beaucoup plus heureux que la plupart des gens. Alors on se taisait pour ne pas se faire dévaliser par un destin jaloux. »
Foisonnant. C’est le premier mot qui me vient en tête à propos de ce livre, ovni dans la littérature pour jeunes adultes signé Stephen Carrière, éditeur, traducteur et écrivain qui, à l’instar de son personnage principal, manipule la réalité pour créer une histoire fascinante. D’abord avec le récit autour de Stan et de ses amis (personnages tous plus chouettes les uns que les autres, mention spéciale à Jenny, mais aussi à Moh, le narrateur, et à Daniel, bien sûr, et…), déjà fort. Ensuite avec la philosophie qui se glisse entre les pages, alors que ce qui est au départ vu comme un tueur en série prend la forme d’un égrégore, monstre mythique se nourrissant de la peur, de la haine, d’un peuple. Au fil de son récit, l’auteur entraine donc ses lecteurs à la rencontre de ceux qui cherchent la bagarre, qui ont érigé leurs idéaux en porte-flambeaux et qui sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins (enfin, sauf les adultes qui préfèrent laisser faire la jeunesse). Finalement cette histoire est portée par la richesse de l’écriture et de l’intertextualité. Je l’ai lu une fois et je pense que je pourrais le relire encore deux fois sans en saisir toutes les nuances. Bref, c’est une œuvre costaude. Toutefois, ce qui fait ses qualités fait aussi ses défauts. En effet, c’est dense et j’ai eu l’impression de devoir prendre des pauses pour digérer certaines parties, pour réfléchir à d’autres, pour bien en savourer d’autres encore si bien que je n’ai pas été « emportée » par l’histoire, comme si mon cerveau était resté trop rationnel au fil des pages. Clairement, ce n’est pas une lecture de plage, mais un de ces livres qui montrent toute la richesse de ce que le fantastique peut apporter au réel et qui satisfera l’appétit des grands lecteurs, avides de récits qui les captivent, mais qui nourrissent aussi leur intellect.
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