Ça s’est passé un mercredi comme un autre, l’année de ses neuf ans. D’une détonation, son père a fait éclater son univers. Et si le mot d’ordre est de ne pas en parler, a la maison comme a l’école, de fuir l’évènement, même, en déménageant, la douleur, elle, est bien la. Et fait des ravages.
« En temps normal c’est le dernier qui sort
qui éteint la lumière
il est sorti le premier
a fermé le breaker d’un coup
très noir
noir insupportable »
Récit poétique où le « tu » réfères au père qui a décidé « de ne plus être le père » dans son histoire, Blast percute de par sa portée émotive, mais aussi la force brute de la langue de Véronique d’Anjou. Pour un lectorat avisé.
« Je balayais désormais les miettes de lui sous le tapis parce que des particules de souffrance, ça rend tout le monde tout croche. »
Celles et ceux qui me connaissent s’en doutent : j’ai commencé ce récit sur la pointe des pieds, incertaine du champ de mines dans lequel je m’aventurais. Il faut dire que la thématique du deuil suite au suicide résonne fortement chez celles et ceux qui l’ont expérimentée. Très vite toutefois, alors que mon cœur battait en cadence, je me suis laissé emporter par la beauté de ce texte qui signe l’entrée fracassante de Véronique d’Anjou en littérature (et je ne dis pas jeunesse ici parce que cette œuvre peut plaire à tous et toutes, vraiment).
Sa narration qui navigue entre prose et poésie – toujours dans des passages très sentis – est remplie d’images fortes. Le début est hyper solide. Percutant. Puis on voit l’héroïne évoluer et on ressent sa douleur terrible, mais aussi le détachement étrange qui s’est créé, nécessaire pour raconter ce genre d’histoire. Ce regard décalé que celles et ceux qui restent portent sur les choses, les évènements, à la fois si fragiles et si loin. Et ce désir, criant, de vivre un deuil différent de sa mère, qui « emprunte des sentiers de déni et de mutisme » et ne laisse à sa fille, sans voix, son seul corps comme objet de révolte.
Bien que concis, Blast est constitué de plusieurs parties, alors que les lecteur.rices voient l’héroïne grandir, et suivent l’évolution du deuil, de la souffrance, des failles de sa coquille. Le verbal s’éloigne, laisse place au silence, au look guerrière, à la fuite dans l’alcool, le besoin de dire, autant de flash, courts moments saisis dans quelques vers et pages (d’ailleurs les pages qui ne contiennent qu’une seule ligne m’ont renversée chaque fois) jusqu’à cette finale où la narratrice s’adresse frontalement à son père. Pour faire une coupure. Marquer ce moment où elle part. Et l’abandonne derrière à son tour. Ou pas.
Le petit plus ? L’enseignante en moi a trouvé savoureux le passage sur la pédagogie et la didactique, qui « ne se cachent pas au fond d’une boite de trous de beignes » ! (La vérité, c’est que j’aurais pu mettre cent citations ici tellement il y a des phrases fabuleuses tout au fil du texte).
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