Entrevue avec Nathalie Fredette

 
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27 mars 2012

Du Soleil même la nuit, n'est-ce pas un titre poétique qui attire l'oeil et la curiosité? Ce fut mon cas et j'ai eu beaucoup de plaisir à lire cette histoire racontée d'une main de maître par Nathalie Fredette. J'ai ensuite eu envie d'en apprendre plus sur cette auteure et son inspiration. Voici notre entretien! 

Comment est née l’histoire de Du soleil même la nuit?
 
Les livres naissent toujours de façon étonnante. Pour Du soleil même la nuit, la naissance a eu lieu en plein Festival de Jazz de Montréal : pendant un concert, sans que je m’y attende, le personnage de Thomas est né, au son de la musique, dans cette salle plongée dans le noir. J’ai pensé : c’est l’histoire d’un adolescent révolté. À ce moment, je ne savais pas trop encore pour quelles raisons ce garçon avait la rage au cœur. Par contre, un nom lui a immédiatement collé à la peau afin de tempérer et contenir sa révolte (mais allez savoir pourquoi c’est ce nom qui m’est venu) : Be Kind. Au fil des mois, Be Kind est devenu Thomas. Il a pris de l’ampleur, il a gagné en complexité. Et plusieurs faits réels, complètement transformés, s’y sont greffés…
 
Pourquoi avez-vous choisi de placer cette histoire aux États-Unis?
 
Plusieurs des faits qui m’ont inspirée ont vraiment eu lieu aux États-Unis. Déjà pour cette raison, ce choix s’imposait. Je voulais aussi que le personnage de Jeanne évolue loin de chez elle, dans un endroit autre mais familier, qui pouvait accueillir facilement des Québécois : en ce sens, l’État de la Floride semblait particulièrement approprié. De plus, le contraste entre les sentiments sombres des deux jeunes et cette lumière vive d’une région ensoleillée me plaisait beaucoup. De la même façon, l’évocation des Everglades et des alligators était pour moi en accord avec le caractère sauvage de Thomas.
 
 
Pourquoi avez-vous eu envie de traiter de l’homoparentalité? Est-ce une réalité que vous connaissez?
 
Parmi les faits qui ont stimulé mon imagination lors de la rédaction du roman, il y a eu le souvenir d’un couple gai que j’ai rencontré à quelques occasions autrefois. Pendant un temps, ce couple avait pris soin d’un enfant jusqu’à ce que le père biologique alcoolique de l’enfant le réclame. Je ne sais rien de plus de cette histoire véridique à partir de laquelle j’ai inventé tout le reste. L’homoparentalité me paraissait une avenue intéressante à explorer. J’aimais l’attitude ouverte de Thomas et de Jeanne : deux parents du même sexe? Pourquoi pas! Par contre, on voit dans le roman comment cela ne va pas de soi pour tous. Avec cette réalité, qui est souvent l’objet de préjugés culminant parfois dans des actions irrecevables (humiliation, intimidation, rejet), je voulais mettre à l’avant-plan des valeurs qui sont pour moi capitales, à savoir l’ouverture d’esprit, la tolérance et le respect des autres.
 
 
Et comment est venue l’histoire de Jeanne?
 
L’idée d’ajouter un personnage féminin à l’histoire, une sorte d’âme sœur de Thomas en laquelle je me reconnais beaucoup plus, m’est venue assez rapidement. Par contre, ce n’est qu’après un certain temps que j’ai eu l’idée d’alterner les récits de Thomas et de Jeanne. Longtemps, j’ai cru que ce serait Jeanne qui raconterait l’histoire étant donné son aptitude à écrire et son goût pour les choses artistiques. Puis, l’alternance s’est imposée et j’ai trouvé fabuleux que les récits des deux jeunes se répondent l’un l’autre, de façon fluide, en dépit de leurs différences.
 
Vous écrivez beaucoup pour les plus jeunes. Comment est venue cette envie d’écrire pour les adolescents?
 
Sans préméditation, j’ai écrit pour les jeunes de façon chronologique. J’ai d’abord écrit pour les 7 à 9 ans avec la série Camille, puis pour les 9 à 11 avec la série Juliette, ensuite pour les 11 à 13 avec La Confrérie des mal-aimés. Chaque fois, j’ai eu le goût d’approfondir un peu plus mes personnages et de développer davantage mes récits… ce qui m’a conduite à Du soleil même la nuit.
 
J’avoue qu’écrire pour les adolescents m’a semblé particulièrement difficile, mais extrêmement stimulant ! Cela est en partie lié à cette sorte de bouillonnement intérieur qui chamboule les jeunes à l’adolescence. J’ai moi-même vécu très intensément cette période. Dans mon roman, les sentiments sont exacerbés. Thomas et Jeanne sont graves et intenses. Leurs émotions sont à fleur de peau. Par contre, cela n’empêche pas l’humour et l’espoir d’être au rendez-vous, bien au contraire. Le titre le dit : Du soleil MÊME la nuit !
 
Est-ce difficile de représenter les adolescents afin qu’ils soient réalistes? Est-ce que vous en avez dans votre entourage? Ont-ils lu le roman?
 
Bien sûr, il faut inscrire les adolescents que l’on décrit dans un contexte qu’ils peuvent reconnaître et faire leur. Il y a toutefois un risque à utiliser, par exemple, des expressions trop actuelles, qui se démodent rapidement. À mon sens, ce n’est pas là l’essentiel. Oui, il importe d’avoir autour de soi des adolescents ou, comme c’est mon cas, d’être sensible à leur comportement, ce que je fais en ayant les oreilles grandes ouvertes dans l’autobus, le métro, près des cours d’école ou quand je regarde des films les représentant. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est de saisir et rendre ce qui caractérise en propre l’adolescence. Être adolescent à la fin des années 1970 ou dans les années 2010, est-ce si différent au fond? L’importance de l’amitié, la naissance de l’amour, la découverte de la sexualité, le mal-être, les questionnements sur l’identité, les conflits avec les parents et toute forme d’autorité, n’est-ce pas ce qui touche toujours les adolescents, peu importe l’époque?
 
Cela étant dit, je consulte parfois des jeunes lors de la rédaction de mes romans pour qu’ils me donnent leur opinion et me fassent des commentaires. Cette fois, j’ai demandé l’aide de quelques jeunes pour le choix de la couverture, que je trouve très chouette!
 
Faites-vous un plan avant de commencer à écrire? Êtes-vous surprise d’où vos personnages vous ont amenée?
 
Au départ, j’ai un flash ou une idée, qui se développe peu à peu. Je prends des notes, j’écris de brefs passages et certaines répliques. Je développe mes personnages. À un certain moment, je ressens le besoin de faire un plan qui résume les grandes lignes du roman à venir, ce qui ne veut pas dire que je le respecterai scrupuleusement. Il m’arrive parfois d’écrire le chapitre final d’une histoire bien avant d’avoir fini de développer tout le reste, ce qui m’amène à revoir et refaire un autre plan.
 
Écrire est une aventure inouïe : c’est vrai pour chaque livre que j’ai écrit. Chaque fois, j’ai une idée relativement précise de ce que je veux faire, mais le résultat final m’étonne toujours. Chaque fois, je me dis : comment se fait-il que je sois allée là? Cette œuvre, c’est moi et pas moi. « Je est un autre », disait Rimbaud. L’expérience est fascinante et bien plus vertigineuse que la plus excitante des montagnes russes!
 
 
Est-ce que vous avez un autre métier? Avez-vous un horaire d’écriture régulier ou écrivez-vous au gré de l’inspiration?
 
Depuis quelques années, je travaille à temps partiel à la Société des alcools. Cela me permet de satisfaire la passion que j’ai pour la cuisine et le vin. J’y trouve aussi un certain équilibre étant donné que le métier d’écrivain est un travail solitaire et sédentaire. Cependant, j’avoue que lorsque je suis lancée dans la rédaction d’un roman, je trouve cela frustrant de devoir m’arrêter pour aller travailler à l’extérieur! Sinon, généralement, j’essaie d’écrire toute la journée, du lundi au vendredi, que je sois inspirée ou non.
 
Quelles sont les libertés que permet la littérature jeunesse selon vous?

Quand on a une formation universitaire en littérature comme c’est mon cas, il peut être difficile d’écrire en ayant en tête l’idée qu’on ne pourra jamais faire une œuvre aussi magnifique que celle des grands auteurs que l’on a étudiés… En ce sens, écrire pour les jeunes paraît moins intimidant. Mais il ne faut pas se leurrer : au bout du compte, on est chaque fois confronté, tout simplement, à notre propre texte, qu’on travaille et retravaille avec rigueur pour offrir le meilleur dont on est capable. Un point, c’est tout. Écrire un roman, pour quelque public que ce soit, est toujours une aventure unique, éprouvante et excitante!
 
Rafale lecture !

Enfant, étiez-vous une grande lectrice?

« Nathalie, tu devrais aller jouer dehors un peu! » est une phrase que mes jeunes oreilles ont entendue souvent. Donc oui, déjà enfant, j’aimais beaucoup lire. Quand j’étais au primaire, il y avait une foire du livre qui se tenait à l’école à la fin de l’année scolaire. Pour me récompenser de ma réussite scolaire et parce que mon anniversaire était le 21 juin, ma mère m’offrait plein de beaux livres. J’étais aux oiseaux!
 
Qui vous a donné le goût de lire? 

La même personne que celle qui me disait d’aller jouer à l’extérieur : ma mère! Je pense que j’avais déjà en moi ces dispositions, mais ma mère les a encouragées en étant elle-même une bonne lectrice (sa bibliothèque me faisait rêver) et en m’offrant souvent des livres.
 
Êtes-vous aujourd’hui une grande lectrice? Que lisez-vous?
 
Je lis beaucoup, mais moins que je le voudrais. Chaque jour, matin et soir, au lever et au coucher (on dirait une prescription du médecin, et en un sens, c’en est une!). Mes goûts sont éclectiques. Ça va dans toutes sortes de directions, selon les sentiments du moment. Trois ou quatre fois par année, j’achète une grande quantité de livres, notamment au Salon du livre, au lendemain de Noël et à la veille des vacances d’été. Je suis toujours fascinée de voir où mes choix me conduisent. Ça peut-être la pile romans de Jacques Poulin, la pile romans policiers, la pile romans pour les jeunes, la pile écriture de gars, la pile romans de la Nouvelle-Orléans, la pile romans contemporains anglais…
 
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? 

Ma relation avec les livres est presque toute entière tournée vers l’écriture. Je ne dévore pas les livres, comme certains lecteurs, avec la hâte de savoir si le héros va s’en sortir ou si le meurtrier va être découvert on non. Quand je lis, je m’interroge d’abord et avant tout sur l’écriture. Comment l’auteur écrit-il? Je dialogue intérieurement avec lui. Comment amène-t-il son récit? Je me questionne sur mon propre travail : ai-je le même type d’approche? Aurais-je abordé la scène différemment? La lecture me fait penser, m’amène à des associations libres. Elle m’inspire et nourrit le texte que je suis en train d’écrire ou celui vers lequel je me dirige…
 
Quel est votre livre préféré?
 
Un livre? Un? Question impossible! J’aime Journal du voleur de Genet, j’aime À la recherche du temps perdu de Proust, j’aime Le bruit et la fureur de Faulkner, j’aime Pastorale américaine de Roth, Lolita de Nabokov, Tom est mort de Darrieussecq, Mrs Dalloway de Woolf, Testament à l’anglaise de Coe, et tellement d’autres…
 
Quel roman a marqué votre adolescence?
 
Là encore, il n’est pas possible de n’en nommer qu’un seul. L’éventail est large. Cela va de Anna et Mister God (un dialogue avec l’infini lu à l’âge de douze ans dehors sous un ciel étoilé), à La Nausée de Sartre et Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche (lu en quatrième secondaire sous le pupitre pendant les cours), en passant par Suzan Barton, infirmière et les romans-feuilletons. J’ai passé beaucoup de temps aussi dans Les Grandes idées de la psychologie (me croyant atteinte de toutes les maladies qui y étaient décrites : hystérie,  névrose, psychose…).
 
Quel est le livre sur votre table de chevet?
 
Présentement, je suis plongée dans la série policière de Frank Tallis qui met en scène un inspecteur de police et un psychanalyste qui tentent de résoudre des crimes commis à Vienne à l’époque de Freud. Vraiment chouette! Bien sûr, il y a aussi sur ma table de chevet d’autres livres qui attendent d’être lus et même d’autres qui attendent d’être terminés.
 
Dans quel endroit préférez-vous lire?
 
Dans mon lit, sous la couette. Dans un fauteuil, derrière la fenêtre, réchauffée par un rayon de soleil. Devant un lac, sur le bout d’un quai. Devant la mer, les pieds nus dans le sable.
 
Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous?
 
Il faudrait que ce soit un livre à la fois grave et humoristique, écrit à la première personne du singulier, littéraire sans pédanterie, inventif mais qui sonne vrai et juste… Des suggestions?
 
Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui ont aimé Du soleil même la nuit? 

Pour les adolescents : Ophélie de Charlotte Gingras. Pour les lecteurs plus expérimentés : La Solitude des nombres premiers de Paolo Giordano ou Sous le règne de Bone de Russell Banks.
 
  
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