Lire moins, mais mieux – Réflexion sur les lectures obligatoires

 
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23 mai 2023

Dans la dernière année, j’ai axé la plupart de mes formations sur « le filtre de la vraie vie » (dont je vous parle ici) en me questionnant sur les pratiques qui s’ancrent dans le réel et peuvent ainsi à la fois faciliter le travail en amont et créer des habitudes de lecture qui perdurent dans le temps.

J’ai aussi été encore une fois en contact avec de très nombreux.ses adolescent.es dans les classes ou lors de salons du livre et mon constat est que le fossé se creuse. D’un côté, il y a les grand.es lecteur.rices, qui se passionnent pour une œuvre, un.e auteur.rice, un genre, qui se laissent influencer par les profs, les parents, les ami.es, Tiktok. De l’autre, il y a celles et ceux qui se vantent et tirent fierté de leur habileté à NE PAS lire, surtout pas les livres obligatoires. Et ce n’est pas qu’un « front », les astuces sont nombreuses pour éviter la lecture et réussir les contrôles et les projets.

Tout ceci m’a donc fait réfléchir. À partir du moment où on sait que la lecture autonome à la maison est vouée à l’échec (ce n’est pas que moi qui le dis, d’ailleurs) pour plusieurs élèves, mais qu’on a trop de matière pour leur offrir le temps nécessaire à la lecture de multiples romans en classe, serait-il envisageable de revoir notre approche ?

Si on souhaite que les élèves lisent vraiment, complètement une œuvre, il faut leur offrir du temps pour le faire en classe, et ce, pour plusieurs raisons.

 Pour montrer aux élèves l’importance que la lecture autonome a : vous prenez du temps pour leur permettre d’avancer, c’est donc que vous accordez une grande valeur à cette lecture, qu’elle a un sens, qu’elle sert vos objectifs d’enseignement. 

 Pour vous permettre d’observer vos lecteur.rices : qui sort rapidement de sa lecture ? Qui semble en difficulté ? Qui avance très (trop) vite ?

 Pour faire des retours en commun, pour échanger sur les difficultés rencontrées, les soucis de compréhension et ainsi permettre à chacun de vivre une lecture autonome de qualité.

 Pour vous assurer que chacun.e PREND DU TEMPS pour avancer sa lecture, tout simplement.

 Pour devenir un.e modèle aussi ! Si vous lisez vous-même pendant cette période de lecture autonome, vous devenez un référent.e positif.ve. Certain.es jeunes traversent en effet leur vie en entendant dire que la lecture est importante… sans voir les adultes lire.

Bien sûr, si on libère des périodes pour lire six à huit romans durant l’année scolaire (et à voir certaines listes de livres obligatoires, ce ne sont pas que des œuvres courtes), on n’a plus le temps de rien faire. On se retrouve donc bloqué.es dans ce qui ressemble à une impasse : le désir de faire lire plusieurs œuvres (pour la culture générale, pour diversifier les thèmes et les genres, pour satisfaire les exigences de la direction et des parents), mais l'impossibilité d'y arriver vraiment.

Une des solutions possibles (parce que l’éventail est large), serait de diminuer le nombre de lectures autonomes et de compléter en proposant, en classe, à voix haute, des œuvres plus courtes, qui ne sont pas moins exigeantes, mais qui seront moins chronophages et qui, néanmoins, pourront servir le cours tant dans l’analyse que dans les référents culturels et les échanges littéraires.

 Des albums

Les albums allient une foule de qualités : c’est souvent court, ça peut être vraiment littéraire, c’est une œuvre qu’on peut lire en une fois et qui offre un début, un milieu et une fin, qui permet de travailler le lien entre texte et image, ça effraie moins les élèves, on peut en trouver de tous les genres… je continue ?

(Connaissez-vous la page Album.moureuse sur Facebook ? C’est ma découverte de la semaine pour une tonne d’idées d’albums pour les grand.es.)

 De la poésie

Parce que la poésie est souvent résistante, mais pas tout le temps. On peut faire une gradation, commencer par des textes plus accessibles (allô collection Unik), puis aller travailler le ressenti, les figures de style, la multiplication des interprétations avec des oeuvres un peu plus complexes.

 Des romans graphiques

Les romans graphiques viennent chercher le plaisir de lire en images, mais travaillent aussi la compréhension, notamment parce qu’il faut sans arrêt combler les ellipses. Les histoires proposées sont aussi souvent riches et le visuel permet aux lecteur.rices plus récalcitrant.es de persévérer lorsqu’ils et elles se retrouvent en difficulté face au sens. 

 Des essais courts et punchés (oui, des essais en français au secondaire !)

La collection Radar au Québec est assez costaude, mais les chapitres peuvent être séparés pour que l’ensemble soit plus accessible. La collection Alt, elle, prend la forme de pamphlets courts et punchés qui peuvent se décortiquer facilement et rapidement en groupe ou individuellement. Une belle occasion d’ouvrir les esprits, de se questionner en groupe, de travailler une forme d’écriture différente aussi, qui rejoindra plus certain.es élèves !

 Des romans courts

Il existe de très courts romans qui peuvent être lus en un cours ou en quelques-uns sous forme de lecture feuilleton et qui sont pertinents tant dans la forme de l’écriture que dans les thèmes traités. Souvent encore plus punchées, ces œuvres brèves sont appréciées !

Lire moins, mais mieux, ce n’est pas abaisser nos standards. C’est agir dans le sens de notre monde qui change, qui évolue. C’est aussi être conscient.es que certaines pratiques se heurtent à un mur et qu’il y a moyen de travailler autrement. Parce que si vos œuvres obligatoires prennent moins de place, ça ne veut pas dire qu’on élimine les livres le reste du temps : c’est plutôt qu’on encourage les élèves à lire ce qu’ils et elles ont envie de découvrir. Qu’on les aiguille vers des œuvres diversifiées qui leur parlent et qui, comme elles sont directement en lien avec leurs préférences, correspondent à leur niveau, leur donneront envie de persévérer.

Et vous, qu’en pensez-vous ?  

Vous avez trouvé une faute ? Oui, j'en laisse parfois passer. N'hésitez pas à me la signaler à sophiefaitparfoisdesfautes@sophielit.ca et je la corrigerai ! Merci et bonne lecture ! :-)
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Ajoutez votre voix à la conversation

Charlotte (27.06.23 à 11 h 13)

Merci pour cet article qui rejoint point par point mes constats ! J'ai d'ailleurs proposé le même genre de pistes dans les conseils donnés récemment sur mon compte Instagram (@lapetitemuquiplume).
Seul point sur lequel je bloque encore : proposer un contexte de qualité pour faire lire les élèves en classe. Actuellement, avec le nombre d'élèves par classe, le manque d'ergonomie de nos salles de classe, les non-lecteurices ont beaucoup du mal à se plonger dans une lecture. Souvent, iels s'agitent sur leur chaise, tournent le livre dans leurs mains dans tous les sens, n'arrivent pas à se "poser" le temps nécessaire pour entrer dans le livre. Aurais-tu des pistes à proposer pour résoudre ce problème ?...
Mylène Quintal (18.07.23 à 16 h 55)

J'ai lu dernièrement La Zone Lecture de N. Atwell et A. Atwell Merkel ou comment former des lecteurs compétents, passionnés et critiques à l'école et pour la vie. Ces enseignantes américaines chevronnées abondent, de tout coeur, dans le même sens que votre réflexion, à la différence qu'elles insistent pour que le choix de lecture soit libre (difficile dans le contexte scolaire québécois). Votre billet me semble particulièrement juste et utile, merci de faire entendre votre voix!

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