Le petit tabarnak

Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse

Un petit garçon joue tranquillement avec son train électrique pendant que son papa tente de planter un clou au mur afin d’y accrocher un cadre. Malheur, le marteau frappe le doigt et un « tabarnak » bien sonné sort de la bouche du papa en furie. Sans trop savoir ce que ce mot veut dire, mais connaissant très bien l’interdit entourant son utilisation, le garçon décide d’aller consulter ses amis pour découvrir la véritable signification de ce juron. Pour p’tit Louis, un tabarnak c’est « un gros monstre préhistorique, horrible, poilu, venimeux, avec des crocs acérés qui dévorait les gens ». Dany croit plutôt que c’est une maladie mortelle alors que Binh explique qu’il s’agit d’un « village où s’est produit un terrible massacre ». Alors que les petits ignares présentent chacun leur vision du mot, un curé les entend et décide de les éclairer. Commence alors une visite de l’église qui bouleverse les enfants : « Quel lieu étrange ! On aurait dit un château hanté avec des peintures macabres et des statues angoissantes qui nous regardaient. » Puis, ils découvrent au final ce qu’est un tabernacle et sortent de là plutôt déçus de l’explication. « Donc, le tabarnak n’était ni un monstre, ni une maladie, ni un lieu maudit ! Simplement une petite armoire. Franchement, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Pfff! »

Cet album est aussi adapté à un lectorat plus grand qui saura reconnaitre ces jurons - entendus, peut-être même utilisés, qui sait - sans toutefois en saisir encore le sens. Alors, en plus de faire sourire, le texte invite à découvrir le sens de ces mots religieux et ouvre assurément la discussion.

Mon avis

La méconnaissance de la culture religieuse frappe fort ici. Alors que ces jurons sont répétés depuis des décennies, les générations nouvelles ont complètement perdu le sens de ces blasphèmes. Tabernacle, calice, hostie… tous des mots qui en plus d’avoir perdu leur signification première ont été bien souvent déformés sur le plan de la graphie. Sur fond humoristique, Goldstyn retrace tout de même un pan de notre culture religieuse et éclaire les non-initiés. L’humour de l’auteur permet d’entrer facilement dans le quotidien de ce petit garçon qui subit au départ l’impatience et la colère de son père. Les aquarelles, aussi signées par l’auteur des Petits Débrouillards, apportent ce qu’il faut de mouvement à ce texte déjà bien dynamique. Le style « bande dessinée » appuie l’univers des enfants et ridiculise un brin celui du clergé. Il faut voir la tête stéréotypée du curé, balourd au rire gras, puis celles monstrueuses des peintures et autres statues présentes dans l’église. Tout contribue à déclencher des sourires et à poursuivre la lecture. Par ailleurs, dans un style très près de l’oralité, les dialogues simples et la narration enlevante captent instantanément l’intérêt. Enfin, petit fait cocasse, ces sacres qui ne sont mal perçus qu’ici au Québec, restent pour les étrangers, notamment pour les Français, qu’un simple terme religieux sans connotation négative ou pècheresse. Cet album invite ainsi l’Autre à découvrir un peu plus l’esprit d’ici.