Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
New York 1850. Bartleby est engagé par un juriste de Wall Street à titre de scribe, de copiste aux côtés de Dindon et La Pince. Homme silencieux, énigmatique, discret, il plait tout de suite au patron.
« Bartleby fut au début d’une extraordinaire activité. Comme s’il avait eu faim longtemps de lignes, il semblait se gaver de ma paperasserie. Il ne s’arrêtait pas même pour digérer. »
Mais rapidement, en fait dès la première demande, le scribe refuse de collaborer, d’aider ou d’exécuter plus de travail. Il y a une économie de mots, mais aussi de mouvement chez le copiste, qui n’a que pour réponse aux demandes incessantes de son supérieur : « J’aimerais mieux ne pas… » Alors cette passive rébellion exaspère à ce point le juriste qu’il congédie Bartleby et ira jusqu’à quitter lui même ses bureaux devant l’inaction et l’immobilisme du scribe. La chute ne sera pas dévoilée ici, mais il faut voir à quel point Herman Melville a su exprimer le refus d’asservissement, mettre en scène un personnage plus grand que nature, et pourtant tellement humain, porté et habité par ses idées.
Les adolescents trouveront ici un texte riche dans lequel le travail servile s’oppose au rendement, le silence à la parole, l’action à l’inaction. On pourrait aussi y voir que l’auteur mène à son paroxysme l’effet que produit une révolution passive.
Ce texte de Melville a déjà fait couler beaucoup d’encre et les interprétations de la figure de Bartleby varient d’un texte à l’autre. Parfois soumis, désincarné, oublié, il représente aussi, pour certains, cet esprit de révolte. Mais l’essentiel ici tient surtout dans cette relation entre le juriste exténué devant l’inaction du scribe. Le jeu est prenant et l’écriture y est pour beaucoup. Le style élégant, fouillé, les phrases souvent au passé simple nous plongent dans un contexte qui nous vient d’un autre siècle.
« Toutes les silencieuses bizarreries de cet individu me revinrent alors à l’esprit. Je me souvins qu’il ne parlait jamais que pour répondre […] Je me souvins qu’il avait refusé de me dire qui il était, d’où il venait, s’il avait la moindre famille au monde. »
Seuls les lecteurs avisés, curieux sauront trouver leur plaisir dans ce texte immensément riche, mais dense et complexe pour les non-initiés. Il faut voir, par ailleurs, et surtout, la beauté des illustrations de Stéphane Poulin qui, d’un trait réaliste et toujours enveloppé de poésie, parvient à recréer cette ambiance froide et morne d’un bureau de copiste. Les couleurs sombres et les angles de vue expriment avec force la douleur, la rage ou encore la solitude des personnages. Voilà une histoire profonde qui ouvre à la réflexion présentée dans un grand format donnant à voir l’étendue du conflit qui habite les protagonistes.
Merci aux éditions Sarbacane pour le livre!
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