Un amour américain

Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse

« Ce fut comme une apparition. Elle était debout, au milieu du pont, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne. Boucles rousses, cheveux parsemés d’or […] Dans un vieux boudoir plein de roses fânées, James repensait sans cesse à cette rencontre manquée. Sous le poids de l’ennui et des neigeuses années, il accrochait à son cœur l’image de l’être aimé. »

Puis, comme le chantait Édith Piaf, Dieu réunit ceux qui s’aiment, alors James et Laura se retrouvent et vivent un moment heureux ensemble, « suspendu dans le temps comme des hirondelles sur un ciel d’après-midi. » Toutefois l’homme prend la route, voyage, découvre, explore le monde, rencontre « d’autres amours, encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation s’était perdue. Les années passèrent… » Toute sa vie, James rêve de retrouver Laura et, comme dans un songe, il la retrouve. Elle n’a pas changé. Mais est-ce l’espoir qui embellit sa réalité ou alors Laura est-elle réellement là ?

Si l’amour est central dans cet album, les lecteurs y trouveront aussi un part belle accordée au thème du voyage qui transporte le héros jusqu’en Orient, puis le débarque à New York, où il découvre le jazz, devient pianiste, vit et vieillit. Les grands thèmes du récit de formation, en l’occurrence l’amour, les rencontres et les échecs s’inscrivent dans cet album et participent de sa force.

Mon avis

La qualité de cet ouvrage réside bien sûr et d’abord dans la force des thèmes mis en scène qui changent et participent du vécu de ce héros, le forme à la vie. Mais si le récit de formation peut être exploité avec cet album, il faut voir aussi la beauté du texte. Inspirée par les œuvres de Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé, Flaubert, l’auteure a travaillé ses phrases, son style. Par ailleurs, elle fait découvrir le blues de Billie Hollyday en insérant des chansons de cette artiste américaine dans la narration ce qui contribue à enrichir le propos. La poésie du texte nous propulse dans un univers à la fois mélancolique, languissant et porteur d’espérance. Et, cette prose est magnifiquement mise en image grâce au trait voluptueux de Volpari. En plus des angles et des différents plans qui épousent à chaque fois l’émotion des personnages, le jeu fait avec la lumière, recréant tantôt l’ambiance de nuit dans une boîte de jazz, tantôt la douceur palpable d’un après-midi d’été, est saisissant. Si le réalisme émane des tableaux, la poésie a force de frappe, créant des tableaux parfois métaphoriques. On pense ici à James, devenu pianiste, envoûté par sa nouvelle vie, mais habité par une immense tristesse. L’illustratrice le met en scène de dos, courbé au dessus de son piano les pieds submergés dans ce qu’on imagine être de l’alcool. Enfin, si cet album est graphiquement très beau et la poésie sublime, la chute quelque peu floue, voire ici les retrouvailles, risque de perdre quelques lecteurs plus terre à terre.