Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse
Alors que sa maison vient tout juste d’être grignotée par des crocodiles, Cousine Clara débarque chez Lester et sa famille même si « personne ne savait au juste de qui [elle] était la cousine ». Armée de son panier débordant de pelotes de laines, Clara tricote un premier chandail qu’elle offre gentiment à Lester. « Il était à la fois ratatiné et pendant. Il était troué là où il ne fallait pas et fermé là où il devait être troué. Il était d’un jaune peu ragoûtant et parsemé de pompons violets. Il était affreux. » Comble de malheur, Lester doit le porter pour aller à l’école. Nul besoin de mentionner qu’il ne passe pas inaperçu. Cette mauvaise journée le pousse a détruire ce chandail, mais le lendemain cousine Clara en fabrique un autre. Le surlendemain ? Un autre, puis plusieurs, puis une tonne de chandails, tous aussi étranges les uns que les autres. Jusqu’où ira cet étonnant rituel ?
L’entêtement de Cousine Clara, le malaise de Lester devant tant de chandails horribles reprend ici une situation bien connue. Qui en effet n’a jamais éprouvé un sentiment de gêne devant un présent pas du tout à son goût ? Les plus petits s’amuseront devant les astuces de Lester et les plus grands y trouveront des thèmes intimement liés à des sentiments ou des situations vécus, notamment l’affirmation, le besoin de faire des choix et de réagir devant les moqueries des pairs.
Partant d’une situation pour le moins surprenante, cette histoire à la fois tendre et loufoque nous entraine sans effort au cœur d’un univers riche en matière. Il y a dans ce livre écrit par Keith G. Campbell, et traduit par Fanny Britt, une finesse dans la manière d’aborder le malaise, trop souvent généré par la politesse, puis l’effet papillon qu’il peut provoquer. Ce manque d’affirmation cause de réels soucis à Lester et tend à lui gâcher la vie, notamment à l’école, où on se moque de lui. S’il accepte à regret d’abord de porter les chandails, le sort qu’il leur réserve témoigne de la colère qu’il ressent. On pense d’abord au pull rose déchiqueté dans la tondeuse, puis à la scène ultime, quand ses parents le découvrent « accroupi au milieu des vêtements démembrés à la hâte. Il tenait une grande paire de ciseaux, et ses mains étaient couvertes de fil rouge. » L’illustration joue pour beaucoup dans l’effet de sens de cet album. Sur une double page, Lester se tient au milieu d’une flaque rouge et sans ses mains on peut voir des morceaux de tissus pantelants, tout semblable à du sang. Ses parents horrifiés regardent la scène alors que Cousine lui propose à nouveau un chandail. Encore. Campbell signe aussi les illustrations - comme sorties d’un autre temps, vieillies - qui participent et ajoutent à l’aura insolite et singulière de l’ensemble. Il faut voir ne serait-ce que les regards, notamment ceux du héros, qui brillent tantôt par leur candeur ou par leur peine, tantôt par leur malice. Le chemin de traverse emprunté par l’auteur pour aborder un thème en apparence aussi simple vaut largement le détour.
Merci à La Pastèque pour l'album!
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