Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
Valentina, la fille de l’empereur, possède tout ce qu’elle veut quand elle le désire. Depuis sa naissance, elle a réussi à accumuler, par exemple, cent-quatre-vingt-dix paires de chaussures, cinquante ceintures en peau de serpent et, surtout, cent volières habitées par les volatiles les plus rares de la terre. Insatiable, elle envoie constamment ses serviteurs parcourir le monde afin qu’ils lui rapportent des oiseaux impossibles, notamment l’oiseau aux ailes de verre, celui au bec de corail ou encore le cracheur d’eau. S’ils réussissent à s’en tirer en rapportant des espèces qui s’apparentent à ce qu’elle désire, ils n’y parviennent pas toujours. Et dans les cas où ils reviennent bredouilles, la capricieuse, sanguinaire et intraitable, leur fait couper la tête daredare.
Une seule cage reste encore inhabitée, une magnifique et grande geôle dorée qu’elle réserve à un oiseau qui saura lui parler. Après des recherches infécondes, beaucoup de têtes coupées, « un garçon aux yeux d’un bleu profond et au sourire espiègle » lui rapporte un nid au centre duquel repose un œuf minuscule, « l’œuf de l’oiseau qui parle ». Elle le pose dans la cage et promet d’attendre patiemment l’éclosion. Et elle attend, attend et attend…
L’égoïsme, les caprices, la volonté de dominer, l’intolérance et le caractère intraitable de la jeune fille rejoignent le côté sombre de l’humain. La finale du conte, que je tais ici, invitera les lecteurs à réfléchir et à débattre autour de ces thèmes qui participent de l’histoire de l’humanité.
La trame de ce conte nous projette dans un univers parallèle, un monde lointain où tout semble possible, à la manière des contes de Perrault. Et, tout comme dans ces contes traditionnels, l’essence du propos rejoint les fondements de ce que l’humain peut être parfois, invite à la réflexion, bouscule nos repères. Le texte sans pitié d’Anna Castagnoli est accompagné des peintures et crayonnés du Flamand Carll Cneut. Ses personnages affublés de visages au regard inquiet, collant parfaitement au propos du récit, se déplacent dans l’espace en faisant fi des cadrages, semblant parfois flotter entre deux mondes. Le travail de l’illustrateur rappelle à certains égards celui du peintre Jérôme Bosch, notamment dans cette fusion naturelle entre imaginaire et étrangeté. Les décors nous entrainent dans un monde incertain, des forêts sombres remplies d’oiseaux aux plumages colorés. Un jeu est par ailleurs fait sur la typographie alternant entre une écriture manuscrite – révélant les pensées et les actions de la fillette – et un caractère d’imprimerie appuyant le fil narratif. Enfin, le grand format de l’album, les différents points de vue et plans des illustrations participent grandement de l’effet déstabilisant – et prenant – de l’ensemble.
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