Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
«Rêver se lit à l’endroit comme à l’envers, dit Anna. Pareil pour ressasser. Et Anna aussi, répond papa ». C’est sur ces palindromes que débute l’histoire d’Anna et de son père ; un moment de leur vie plutôt, comme suspendu entre deux états depuis la mort de la maman. Alors qu’ils doivent quitter la maison pour aller lui rendre un dernier adieu à l’église sur l’autre rive, Anna se met à imaginer ce que sa mère fait, où elle est, comment ça se passe pour tout ceux qui sont morts. « Regarde, papa ! Il y a un trou dans le ciel… Viens, on saute ! Où on va, Anna ? Loin ! […] Papa ne comprend pas très bien. Il hésite un instant, puis il se jette à l’eau. » Pour trouver un semblant de réponse à ses questions, la jeune fille entraine ainsi son père avec elle dans ce voyage de l’autre côté du miroir. Ensemble, ils visitent des zones inconnues, ils questionnent la vie après la mort, puis rentrent juste à temps pour se rendre à l’église.
Le chemin surréaliste emprunté par Stian Hole pour aborder le thème de la mort et du deuil suggère un second niveau de lecture, adapté aux adolescents qui sauront pousser la réflexion plus loin et cogiter à l’aspect métaphorique de l’ensemble.
Ce qui nous happe dans cet album, c’est d’abord la force des illustrations, comme des tableaux inspirés de Picasso qui nous transportent ailleurs, nous invitent voir le monde sous un autre œil, à voir, ici, la mort et le deuil de l’intérieur. Comme si Stian Hole, auteur et illustrateur, nous faisait entrer dans la tête des personnages, là où tout se présente comme dans un rêve, dans un espace fantastique. Les palindromes donnent d’ailleurs le ton à l’effet miroir qui suit les personnages tout au long du récit. En fait, tout comme ces mots qui se lisent d’un côté ou de l’autre, le voyage permet aux personnages de questionner l’envers du décor, de découvrir ce qui se cache entre la vie et la mort, entre ces deux pôles de la vie. Et, si le surréalisme des illustrations appuie avec rigueur et intelligence l’aspect fuyant, insaisissable de la mort, il convie par ailleurs les lecteurs à vivre une véritable plongée au cœur de ce courant artistique. Clin d’œil savoureux, il faut voir notamment une double page sur laquelle les personnages survolent une mer dans laquelle baigne des disparus, notamment Picasso lui-même, bien posé à l’avant-scène. Le style très onirique de Hole invite les lecteurs à découvrir mille et un petits détails qui permettent de saisir toute la profondeur du propos et de suivre les personnages dans cette traversée vers l’acceptation. C’est un album aux contours singuliers qui gagne à être découvert.
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