Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse
« Peregrin longe une rue aux maisons penchées, rouges, bleues et tachetées d’ombres. Étrange ! Il tient dans ses mains un petit bocal, dans lequel un poisson du nom de Nickeling tourne en rond, monte et descend. » Cette étonnante promenade prend des airs encore plus loufoques lorsque le poisson grossit, sort du bocal, porte le petit garçon sur son dos et l’emmène découvrir le vaste monde qui « est semé d’embuches, surgissant on ne sait où, on ne sait quand, et [où] il est difficile [de] vivre aujourd’hui comme demain ». Malgré tout, il poursuit sa traversée jusqu’à la ville où le poisson le dépose, le rassurant sur le bonheur qu’il y trouvera.
Là, des amis lui offrent à manger, l’habillent. La vie est généreuse, les habitants accueillants, tout le monde fait ce qui le rend heureux sans déplaire à personne. « Qui, ici, voudrait paresser, et se priver de montrer de quoi sont capables ses mains habiles ainsi que son cœur généreux ? » Ainsi va la vie dans cette ville parfaite où règne la solidarité, l’entraide, le plaisir et l’amitié. Mais cela existe-t-il vraiment ?
Si le texte de cet album peut plaire aux petits, les plus grands y trouveront les grands thèmes du récit de formation. Le voyage, l’apprentissage, les rencontres, les embuches ou encore les efforts entrepris pour voir naitre un monde meilleur participent de cette ode à la vie.
Cet album atypique écrit en 1923 par la nièce du célèbre psychanalyste Sigmund Freud est un petit bijou d’avant-garde, dans lequel l’auteure évoque de façon fantasmagorique les bases d’un monde idéal. Si la forme de l’album reste conventionnelle, avec un format à l’italienne, alternant de façon méthodique les pages de texte et les illustrations, l’auteure fait preuve de modernité et d’audace dans le contenu. Dans cette période sombre qu’est celle de l’après-guerre, le texte de Tom Siedmann-Freud, pseudonyme de Marta Siedmann-Freud, porte un baume sur le marasme sociale en mettant en scène l’espoir d’une vie meilleure, d’une humanité fraternelle où tout semble possible. La poésie qui émane du texte appuie par ailleurs cette envolée idyllique assurant une fusion tout à fait naturelle et brillante entre le sujet et sa forme. Les illustrations, aussi signées Tom S-F, expriment toute la candeur inscrite dans le texte. L’absence de perspective claires, l’abondance de couleurs et la douceur du trait épousent l’espérance du propos. Ce qui frappe dans cette luminosité c’est qu’elle tranche avec la vie tragique de l’auteure qui s’est donné la mort en 1930. Son œuvre, tombée dans l’oubli, a été redécouverte dans les années 1980 avec Bateau magique. La publication de Voyage en poisson, co-édité par Albin Michel et la BNF, est la première traduction française du titre. Ces détails se retrouvent d’ailleurs dans la postface de l’ouvrage permettant de mieux connaitre et comprendre l’artiste et son œuvre.
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