Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse
« J’étais encore petite quand tout cela est arrivé […] Mes parents vivaient le front plissé, car beaucoup de choses les inquiétaient, des choses que je ne comprenais pas bien, des mots qu’ils chuchotaient l’un et l’autre : « ignorance », « peur », « guerre », « prison »… Un jour, je les ai entendus prononcer le mot « exil ». La ride sur le front de mon père s’est creusée profondément et, le lendemain à l’aube, nous sommes partis. »
Commence alors une nouvelle vie pour cette petite et sa famille, une vie plus clémente dans laquelle elle peut aller à l’école, où tous les enfants peuvent aussi y aller. Mais sous cette apparente liberté se dévoile un quotidien terne, sans couleur, un quartier où toutes les maisons sont semblables, une cour d’école peuplée d’enfants tous habillés du même chandail vert, orange ou gris. « Les yeux de ma mère ne brillaient plus comme au début. Cette monotonie l’ennuyait et je l’entendais souvent dire : “Les mêmes couleurs, toujours les mêmes couleurs et les mêmes formes…” ». N’écoutant que sa créativité, la maman démaille les chandails et forme des pelotes avec lesquelles elle recrée des tricots différents, colorés, introduisant un losange ici, une courbe nouvelle par là.
Au-delà du thème de l’exil, ce texte met en lumière la richesse de l’échange entre les peuples ainsi que la vivacité que peut apporter le partage des cultures. Les plus petits apprécieront le jeu de tricot fait par la maman alors que les grands y verront l’importance de tisser des liens avec l’Autre.
Les éditions Éléphants, créées en 2015, ont le souci d’offrir des textes porteurs ouverts sur l’ailleurs. Paru en mars, Avec trois brins de laine (on peut refaire le monde) est inspiré d’une histoire vraie, celle de l’exil qu’a connu une famille amie de l’auteure Henriqueta Cristina. Si l’adaptation à la terre d’accueil est exposée avec finesse, l’angle permet par ailleurs un regard englobant sur le sujet.
En fait, il y a bien sûr l’adaptation, la découverte du nouveau monde, la joie de gouter enfin le calme, mais l’auteure souligne par ailleurs la richesse que ces arrivants peuvent apporter quand on leur laisse la chance de s’exprimer, de faire valoir leur vision du monde. Le jeu entre le tricot refait par la mère, le regard étonné des enfants devant la différence et surtout l’effet d’entrainement produit chez les autres parents, tous occupés à refaire les tricots - une maille à l’envers, une maille à l’endroit - exprime tous les bienfaits de l’échange. Sur ce texte ouvert sur le monde, se posent les illustrations naïves de Yara Kono, qui met habilement en scène différents angles du quotidien vécu les personnages.
Si l’utilisation de seulement trois couleurs peut sembler minimaliste, il faut comprendre l’effet de sens créé ici. La morosité n’existe que par manque d’imagination. Avec peu de couleurs, peu de moyen, il y a possibilité de refaire le monde.
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