Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
« Naître, comme tout le monde. Naître et être pris en charge par les automatismes millénaires de la nature. Naître, et puis grandir dans une famille, plus ou moins à l’abri des mécanismes de notre civilisation. Naître sans vraiment être et, un jour, réaliser qu’on est seul, complètement seul. La vie m’aurait-elle oublié ? Que m’était-il arrivé jusqu’à maintenant ? Rien qui semblait avoir marqué mon existence. Et pourtant, pourtant. Pourquoi ma vie semblait-elle tout juste avoir commencé ? » Albert travaille dans l’atelier de cordonnerie que lui a légué son père. Sans grand enthousiasme, il répare, recolle les chaussures des clients. Ça lui permet de manger. La serre, derrière l’atelier, le jardin, « sa lumière », lui permet, quant à lui, de vivre. Ainsi, les jours passent sans grands bonheurs, tout est beau fixe jusqu’au « grand chamboulement », la visite de Simone dans sa boutique. À partir de là, « c’est comme si on [l’]avait arraché à [s]a vie, à [s]es repères. Du jour au lendemain, [il s’est] retrouvé transplanté en sol inconnu, avec [s]es racines endolories. »
Ce roman graphique nous plonge au cœur de la vie d’un garçon solitaire qui connaît les émois d’un premier amour. Mais au-delà de ce thème porteur, on nous propose ici, et de façon plus signifiante, celui de l’attachement, de l’enracinement, tout autant que des détours posés au travers des chemins. Les adolescents seront particulièrement touchés par l’authenticité des émotions vécues ainsi que par le graphisme, qui apporte beaucoup de profondeur à l’ensemble.
Vincent Gagnon et Marianne Chevalier, duo qui forme Bellebrute, nous offre une histoire prenante, chargée d’autant d’amour que de souffrance, un récit infiniment poétique dans lequel l’illustration porte le poids de l’émotion. Alternant entre des pages qui rappellent la bande dessinée, des doubles pages qui campent un décor - souvent celui relié au quotidien du héros - et, d’autres, portées par un style onirique qui nous transportent dans un univers parallèle - symbolisant la psyché d’Albert - la forme graphique de cet ouvrage installe avec doigté différentes atmosphères. Les couleurs choisies jouent aussi sur le sens de l’album. Le rouge rappelle la violence des sentiments, le gris, la monotonie des jours, ou alors le quotidien, alors que les pensées d’Albert nous sont offertes dans différentes teintes variant selon son état d’esprit. Cet ouvrage a tout pour rejoindre les adolescents en combinant avec finesse un sujet universel, une forme accessible et apprécié - le roman graphique - et des illustrations qui assurent la narration lorsque le texte garde le silence. À découvrir absolument.
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