« Il fait chaud, il fait froid. De tout là-haut, haut, haut, je plonge. Du noir à la lumière, d’une étoile à la Terre […] C’est le grand saut. Je roule sur moi-même, et encore ! et encore ! Mes jambes tournicotent par-ci, tournicotent par-là… Je longe mille étoiles. Je traverse un nuage. Je franchis une averse de neige. Toutes ces étincelles derrière moi ! Je brûle ! »
La petite Zsofi vient au monde, palpe son corps, écarquille les yeux dans lesquels il y a encore de la « poussière d’étoile ». Et elle rencontre d’abord une femme qui la prend dans ses bras, la serre contre elle. « Boum boum, fait son cœur à [s]on oreille, si fort que la petite « ne s’entend plus [elle]-même ». Puis un homme, «très beau avec des chaussettes de laine », l’homme de sa vie, se présente. Enfin, il y a Keÿ, la grand-mère, vieille et malade avec qui elle fait un tout petit bout de chemin, jusqu’à ce qu’elle « plonge à son tour, qu’elle écarte les bras, culbute, qu’elle fasse un salto avant, qu’elle lâche prise ».
Anne Provoost offre ici une histoire sur le cycle de la vie, mais aussi sur la filiation et la transmission du savoir de mère en fille. Si l’album peut être apprécié par les enfants – encore faut-il qu’ils soient accompagnés dans la lecture – les adolescents découvriront une façon toute poétique d’aborder cette grande traversée.
Anne Provoost, auteure flamande, nous a habitué à des romans prenants dans lesquels elle aborde des réalités qui bousculent, étranglent, secouent. Ma tante est un cachalot, Le piège, Regarder le soleil, en tête. Si ses romans nous plongent du côté sombre de l’existence, avec Le grand saut, elle exploite plutôt le côté lumineux.
Déjà, le thème de la vie, de la roue qui tourne, du petit bagage que l’on traîne et qui devient tout à coup inutile au bout du chemin, est infiniment tendre. Puis, il y a cette façon d’écrire, cette douceur dans le ton offerte comme un bouquet de mots, fait de mille et une pétales, de « soleil qui brille, d’insectes qui bourdonnent. » La douceur, la poésie avec laquelle elle met en scène le thème de la naissance est tout à fait unique et s’inscrit dans la lignée de ses textes profonds qui invitent à la réflexion.
Il faut aussi souligner le talent d’Emmanuèle Sandron qui parvient avec sa traduction à nous faire sentir toute la charge émotionnelle qui transporte les personnages. Et puis, sans les illustrations d’An Candaele, l’album ne serait bien sûr pas ce qu’il est. D’une ligne aérienne, d’un simple contour noir, de quelques couleurs et collages, elle nous fait voyager au cœur de la steppe, partage la chaleur d’une yourte colorée. Il faut voir le mouvement dans le trait, notamment lors de la naissance de Zsofi, cette petite, nue, qui, sur fond blanc, tombe doucement, tout en bas de la page. La relation de complémentarité entre le texte et l’image ajoute à la richesse de cet album singulier et particulièrement touchant. Une véritable ode à la vie.
Sophielit est partenaire des Librairies indépendantes du Québec (LIQ). Cliquez ici pour plus d'informations sur ce partenariat.
Nouveau commentaire