Mes chers voisins

Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse

« Par définition, le voisin habite à côté. C’est ce qui fait son charme. On sonne à sa porte quand on est en panne de moutarde. Si on doit faire trois kilomètres pour avoir de la moutarde, ce n’est plus un voisin, c’est un supermarché. En ville, le voisin est nombreux et empilé. À la campagne, il est horizontal et parfois unique. Ce qui n’est pas forcément une affaire, car un seul emmerdeur peut vous pourrir la vie plus subtilement que les cinq cents habitants d’une tour de trente étages. »

Qu’il soit fantôme, délicat, bruyant, plein d’enfants, expansionniste, séparatiste, ou du genre normal, le voisin fait partie de nos vies et ne peut être ignoré.

Dans un style à la fois grinçant et humoristique, une langue simple, mais percutante, Marie-Ange Guillaume s’amuse ici à nous faire étalage des différents types de voisins. Au-delà du thème du voisinage, ceux de la cohabitation, du partage, de l’échange, des discordes comme des différences sont mis en scène de façon singulière et amusante. Les adolescents retrouveront là des portraits d’amis, de voisins de casier, de chambre, de cour d’école, mais aussi et surtout des réflexions sur notre façon de percevoir l’autre.

Mon avis

Si le thème semble à priori simple et banal, il faut soulever la couverture et entrer dans cet univers franc et déjanté agréablement mis en scène par Marie-Ange Guillaume. Elle parvient par exemple à recréer avec finesse l’atmosphère bousillée par le voisin expansionniste, « lui qui est partout chez lui, surtout chez vous, qui met son lave-vaisselle en route vers minuit et demi, puis qui ouvre ses fenêtres pour écouter le match ce qui permet à tout le monde de savoir que Bordeaux a marqué contre Saint-Étienne ». Elle nous parle aussi avec aplomb du voisin normal, « un genre assez nocif qui », sous des dehors calmes et paisibles, se met tout à coup à insulter tout ce qui bouge et se fait embarquer par les infirmiers alors que tous les voisins témoignent qu’il était pourtant bien poli.

Le texte audacieux, irrévérencieux est accompagné des tableaux éclatés de Nicole Claveloux. Cette artiste chevronnée, qui a amorcé sa carrière dans les années 1970, pose ici un regard déjanté sur ces humains qui nous entourent, qui partagent notre quotidien. L’œil se laisse porter par ses peintures qui rappellent Bosch, Brueghel et parfois le grotesque de Ludovic Debeurme. La grande Claveloux s’amuse ainsi à offrir des portraits tout aussi saugrenus qu’amusants, des scènes qui étonnent, questionnent, ébranlent, des personnages enfants ou adultes qui se fondent dans des costumes clownesques. L’esprit carnavalesque bat son plein dans cet album éclaté, là où le voisinage devient une faune hétéroclite, drôle et même sympathique. À découvrir pour toute la folie qui en émane.