Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
« L’aube pointe ! Une lumière dorée caresse la savane. Babines rouge sang, trois hyènes rentrent se coucher, rassasiées. » Lions, mangoustes, rhinocéros, impala, fleurs de baobab toute la faune et la flore accueille à sa façon cette nouvelle journée, source de tous les possibles. Du haut de la plus haute branche d’un acacia, le petit Kéti, « guère plus grand qu’une main d’homme », observe cette nature fragile et soumise à l’ambition des hommes.
Car si Kéti est minuscule, il en était tout autrement de ses ancêtres que l’on appelait les géants des Terres Rouges. « À cette époque, ils leur suffisaient de se hisser sur la pointe des pieds pour dépasser de la tête la cime des arbres et cueillir sur la canopée les fruits les plus rares. »
Mais la ville s’est mise à « grignoter frénétiquement la forêt » laissant animaux et hommes des Terres Rouges sans nourriture. Le nombre d'hommes a ainsi, au fil des ans, rapetissé, tous cherchant toujours à fuir la ville.
Dans un décor aux couleurs d’Afrique, ce conte de Karim Ressouni-Demigneux met en lumière le thème de l’étalement urbain, de la dévastation des forêts et des torts causés aux peuples indigènes.
Mettre en scène l’étalement de la ville et ses effets collatéraux du point de vue de la faune, de la flore et des peuples qui habitent ces forêts encore intouchées permet au lecteur de prendre toute la mesure du drame de l’intérieur. L’exil et le déracinement des peuples impliquent ici tout un écosystème qui doit jouer d’astuce pour survivre. Voir le peuple de Kéti rapetisser au fil des générations devant la ville qui enfle témoigne de façon métaphorique, mais percutante, de cette lutte inégale. Jusqu’où devront-ils s’éloigner pour trouver refuge, résister à cet envahissement. À quel prix ?
Et si l’écriture riche de Ressouni-Demigneux teinté d’un vocabulaire lié à la vie sauvage de la savane nous plonge au cœur de ce déracinement, les illustrations de Bruno Pilorget évoquent avec moult détails l’univers africain. Il faut voir la minutie avec laquelle il peint le marabout ou encore le souimanga, ce petit oiseau à ventre jaune. L’atmosphère chaude d’une matinée dans la savane est aussi palpable grâce aux teintes rougeâtres, à l’étendu du décor sur lequel un immense baobab étire ses branches au dessus d’un jeune impala qui met bas. Les variations de plan, de cadrages, le jeu des perspectives prolongent le texte de l’auteur et donnent sens à l’ensemble.
Un très beau conte à lire et partager pour saisir cette inégale et insensée lutte entre progrès et nature.
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