Abel angoisse. À plus de treize ans, il aurait dû recevoir son mot depuis plusieurs mois. Cela ne saurait tarder… Un matin, il se réveillera avec son mot en tête, résonnant fortement dans tout son esprit. Ce mot le définira pour la vie, gardé secret jusqu'à sa mort. L'adolescent rêve d'un grand mot, tel « amour » ou « justice », que portèrent respectivement mère Teresa et Martin Luther King. À tout de moins, un mot qui le rendra heureux fera bien l'affaire! Mais quel cauchemar ce serait que de se réveiller avec un mot comme « salade » ou « rabat-joie ». Quoique, cela pourrait être pire… Le parti de la Vérité, qui gagne en popularité, ne souhaite rien de moins que ficher tous les récipiendaires de mots noirs afin de mieux les contrôler.
Un matin, un évènement tragique se produit à l'école : la superbe Clara Després est étonnamment seule, blanche comme un drap et recroquevillée dans un coin. Non loin d’elle, en grandes lettres rouges, est écrit la phrase fatidique : « Le mot de Clara Després est tabouret. » Tous les élèves et le personnel sont en alerte. La police s'en mêle. Le dévoilement d'un mot constitue un crime passible d'une longue peine d'emprisonnement. Dire que c'est la fille qui fait battre si fort le coeur d'Abel! Qui a pu faire une telle chose?
Le mot d'Abel est un roman psychologique centré sur le passage de l'enfance à l'adolescence et sur l'idée d'indépendance dans un monde qui appose des étiquettes sur tout un chacun. Ayant les allures d'un roman réaliste et des airs d'une dystopie, il aborde les thèmes du bonheur et de l'émancipation. Il convient aux lecteurs adolescents de tous les niveaux.
C'est un curieux monde que crée Véronique Petit. L'idée est originale. Un mot, un destin, et les dés sont jetés! Comment accepter sereinement cette idée? À part cette différence, le monde d'Abel est identique au nôtre et possède les mêmes repères historiques et culturels. On y croit pleinement, et les liens à faire avec notre réalité sont nombreux : vie sociale adolescente mouvementée, vie familiale complexe, montée des idées extrémistes. Si l'arrivée d'un mot déterminant à l'adolescence est ici une invention, le contrôle qu'exercent sur nous une multitude de facteurs est quant à lui bien réel. Je pense à l'image de soi, à l'apparence, aux études, au statut socio-économique, à la réputation… Mais ces facteurs peuvent-ils vraiment nous définir jusqu'à annihiler notre libre-arbitre et jusqu'à construire des murs si élevés qu'il nous serait impossible de diverger un tant soit peu de la voie imposée par le destin?
Pouvons-nous encore rêver et imaginer le monde autrement, meilleur?
Même si Abel mise d'abord sur la chance du destin, il ne pourra s'y résoudre tout au long du roman. Face à certaines injustices imposées par des mots moins flamboyants, il devra choisir entre la résignation ou le courage de rêver. Ses parents, décédés, portaient les mots « nuage » et « voler ». Ceux-ci ont couru à leur perte. Et s'ils avaient eu d'autres possibilités? Des personnes comme Clara ou comme son ami Camille, qui a hérité de « poule », peuvent-elles choisir de renverser leur malchance pour en faire une opportunité?
Bien que j'aie un peu été agacé que « le mot » soit constamment dans le décor du roman, je dois avouer que Véronique Petit réussit du même coup à aborder de grands sujets de l'adolescence. Malgré le style psychologique du livre, tout progresse assez vite et celui-ci conclut avec une note puissante. Je termine en soulignant la présence, dans le texte, de plusieurs messages échangés dans un forum entre des adolescents en attente de leur mot. Cette idée contribue à améliorer le rythme du récit. En bref, le mot d'Abel est une lecture originale qui nous ramène à l'importance de croire en notre volonté et nos convictions.
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