« Au cœur de la savane, les amis se retrouvent après une journée très chargée. " As-tu bien avancé tes recherches, Léon ? " demande Hippolyte en s’asseyant lourdement sur le fauteuil en cuir. Léon travaille sur la notion du temps. Il pose lentement ses lorgnons. " Oui, répond-il. Je me demande en ce moment si le temps prend son temps ou s’il fuit en avant. Et vous, qu’en pensez-vous, mes amis ? " » Las de ses journées toujours semblables pendant lesquelles le temps reste bien uniforme, Sergent Poivre ne sait quoi répondre. Il aimerait vivre autre chose, comme ce vieux rêve d’aller rencontrer un enfant.
Ainsi, Léon le lion, Sergent la girafe et Hippolyte l’hippopotame délaissent les réflexions sur le temps, s’embarquent à bord de Majortom, la baleine à bosse, et filent là où ils pourront faire leur étude sociologique sans se faire remarquer, en l’occurrence, le zoo.
Si l’album a tout pour plaire aux plus petits, ne serait-ce que par le côté onirique de l’ensemble, les grands y trouveront matière à cogiter. Le regard que l’on porte sur l’Autre, les jugements, les questions qui surgissent sont nécessairement réciproques. L’autre nous regarde, remet en question notre façon d’être et d’agir, s’intéresse à nous. Ainsi, dans cette fable animalière en apparence cabotine repose en filigrane un des fondements de l’humanité, le rapport à l’Autre.
Caroline Pellissier joue avec les perspectives en nous offrant une vision à la fois amusante et inversée du monde. Les animaux – scientifiques de surcroit – observent ainsi que les petits sont capables de rire, pouffer, glousser, crier tout comme pleurer parce que « les enfants vivent à fond leurs émotions », parce qu’ils ne « cessent d’expérimenter » dira Lucy, la girafe du zoo. Les animaux repèrent ainsi ce qu’ils connaissent, soit l’instinct des enfants, cette nature première délestée d’une intellectualisation. Véritable ode à l’enfance, à la beauté et la candeur qu’elle dégage, Le Voyage met en lumière la profondeur, l’authenticité et l’intensité des enfants.
S’ajoute à ce texte expressif, le trait fin, détaillé et surréaliste, de Mathias Friman, celui là même qui nous a donné l’extraordinaire D’une petite mouche bleue en 2017. Sensible à l’effet de réel, l’illustrateur sait toutefois ajouter quelques éléments loufoques à ses tableaux nous propulsant de l’autre côté du miroir. Le crayonné s’accompagne ainsi de quelques touches de couleurs qui permettent notamment de distinguer le quatuor de scientifiques des animaux du zoo. Bottes à pois et lunettes rouges pour Sergent Poivre, bonnet de bain pour Majortom, chapeau rouge pour Léon et Hyppolite, baleine volante soulevée par des ballons jaunes et bleus, l’œil du lecteur est dirigé vers ces détails qui ajoutent à la fantasmagorie de l’ensemble. Voilà une traversée stimulante à la fois pour les yeux et l’esprit.
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