Billet rédigé par Jean-François Tremblay, enseignant
6 aout 1945, Hiroshima, Japon. Akiko, 15 ans, se réveille plus tard que d'habitude. Il est 8 h. C'est que, ce matin, par un hasard de la vie, Akiko n'a pas à se rendre à l'usine pour fabriquer des armes de guerre. C'est donc sa grande sœur qui la réveille. Les deux filles profitent de la matinée d'été à la maison, discutent de tout et de rien.
Tout à coup, une vive lumière enflamme tout le ciel. Quelques secondes plus tard, une explosion chaude et atomique souffle tout. Sonnées, les deux sœurs se remettent debout tant bien que mal et constatent que, bien qu'elles soient en vie, elles souffrent de grandes blessures.
« […] à ce moment-là, toutes les choses accumulées dans ma vie, sans exception, me parurent dérisoires. »
En sortant de leur maison, Akiko et sa sœur découvrent un monde littéralement mis à feu et à sang. Elles rencontrent des vivants, des morts, mais aussi des ni vivants ni morts. C'est l'horreur. En une minute, la vie de dizaines de milliers de personnes vient de s'éteindre ; celle d'encore plus vient de basculer pour toujours.
Les sœurs Hiroshima est un récit de guerre véridique décrivant les heures suivant l'explosion de la première bombe nucléaire. Le lecteur y suit Akiko et découvre, par ses yeux, une partie de la tragédie. Le roman, paru pour la première fois pour la jeunesse au Japon en 1973, a été réédité par Bayard. Il convient à tout lecteur interpelé par cet épisode de l'Histoire, dès 11 ans.
Depuis quelque temps, dans le monde de la littérature adulte, j'ai en partie délaissé les documentaires historiques au profit des récits personnels, racontés par monsieur-madame tout le monde et réécrits par un auteur. Ce faisant, j'ai l'impression d'être touché directement, de ressentir une partie de ce qu'ont pu ressentir les témoins, d'appréhender la vie telle qu'elle pouvait l'être à l'époque, dans le bonheur comme dans l'horreur. Sur le thème de la guerre, on se retrouve alors loin des tactiques militaires ou des statistiques. On assiste plutôt à un théâtre où l'humain rencontre l'humain.
Vous comprenez donc mon enthousiasme lorsque j'ai ouvert, un peu par hasard en un beau dimanche de septembre, ce livre jeunesse que j'ai acheté l'an passé. J’ai lu la préface, les notes de l'auteure, la postface, et j’ai réalisé que je tenais entre mes mains une authentique histoire du drame qu'est l'explosion de la bombe atomique sur Hiroshima.
Après une trentaine de pages, qui nous permettent de découvrir avec tendresse l'enfance et le quotidien d'Akiko au Japon en guerre, la bombe explose soudainement. Fini le temps de l'enthousiasme des troupes pour la victoire : tout le monde tombe alors en mode survie. Comme cela semble souvent se produire dans les situations extrêmes, les deux filles verront les hauts et les bas de l'humanité : le don de soi pour la survie d'autrui et l'individualisme pour sa propre survie.
« Coincée sous mon amas de tuiles, incapable de bouger, j'avais pu m'en sortir grâce aux efforts de quelqu'un d'autre, – ma sœur –, alors pourquoi n'avais-je pas compris l'importance de penser aux autres? »
Entrecoupé par ce genre de réflexions sur la vie, le récit d'Akiko ne censure rien (mais reste adapté pour les enfants) : les cadavres, les brulés sans vêtements à la peau en lambeaux, les familles séparées pour toujours, les personnes complètement perdues et désorientées… La mort est impitoyable et ne prend pas rendez-vous; la malchance des uns côtoie la chance des autres. Akiko, après s'être fait sauver par sa sœur, se rend finalement compte que son ainée est encore plus blessée qu'elle. Commence alors une lutte pour sauver celle-ci et d'autres voisins. Le roman, jusqu’à la fin, trouble et captive par son intensité et son réalisme dans… l’incroyable.
Franchement, Les sœurs Hiroshima offre aux lecteurs de plonger, bien assis chez soi, dans les plus bas étages de l'enfer. Comme on nous le rappelle à la fin, c'est un exposé dérangeant, mais ô combien important pour se souvenir et comprendre nos erreurs du passé. « Il n'existe pas de bonne ou de mauvaise bombe. » D'ailleurs, malgré l'infinie tristesse des évènements, l'histoire de l'adolescente est joliment écrite et se conclut par la beauté, par une note d'espoir. Il a fallu beaucoup de temps à Akiko avant qu'elle n'autorise la publication. Elle a fini par accepter pour que tous ceux épargnés par la guerre puissent en tirer leurs leçons. Je lui laisse les derniers mots, qui expriment sagement son ultime crainte avant la sortie du livre.
« Mais il ne faudrait surtout pas qu'en lisant ce livre, les gens se mettent à haïr les États-Unis parce qu'ils ont fait des choses affreuses. Pendant la guerre, tous les pays ont commis des crimes affreux : le Japon, l'Union soviétique, l'Allemagne, tous. La dernière chose que je voudrais, c'est qu'on haïsse les États-Unis ou l'URSS, et que cela devienne le point de départ d'une nouvelle guerre. »
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