À 16 ans, Anoki fait partie de ces filles indiennes qui ont la chance de poursuivre leurs études. Brillante, elle a le soutien de ses parents à la maison, une amie qui est une parfaite confidente et même un amoureux qu’elle voit en secret. Elle a donc l’impression que les barrières qui se dressent sur le chemin des femmes indiennes ne la concernent pas. Jusqu’au jour où, sous sa recommandation, sa nouvelle belle-sœur fait part à table de l’arrivée de son diplôme d’infirmière et de sa volonté de travailler. Sous les yeux d’Anoki, son père et son frère se transforment : pour eux, une telle chose est hors de question. Tout comme le désir d’Anoki de devenir journaliste, comprend ensuite l’adolescente. Mais la jeune fille refuse de faire une croix sur ses rêves et se tourne vers des organismes d’aide. Oui, elle est bien consciente qu’il y a des femmes dans des situations encore pires que la sienne, mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’a pas droit, elle aussi, de parvenir à ses fins.
Anne Loyer s’intéresse à la condition des filles et des femmes en Inde dans ce récit qui met de l’avant une héroïne déterminée. Écrit dans une langue accessible et assez bref, Celle que je suis convient à tous les lecteurs.
« Chatura n’est pas une infirmière. Ce qu’elle est, c’est la femme de mon fils. Ce qu’elle est, c’est ma belle-fille. Ce qu’elle doit être, c’est une bonne épouse. Où elle doit être, c’est à la maison. Le mariage est une institution sacrée. Et ce diplôme n’y changera rien. ce diplôme n’est rien.
Et d’un geste vif, il l’a déchiré, déchiqueté, émietté… jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. »
Avec Celle que je suis, Anne Loyer parle d’émancipation, de courage et de liberté en entrainant ses lecteurs dans une réalité qui est sans doute loin de la leur. Et encore, le choc vient par étape. Oui, on s’immerge dans la culture et les traditions de l’Inde dès les premières pages (chapeau d’ailleurs au travail de recherche de l’autrice), mais au départ la famille d’Anoki semble progressiste… et l’héroïne assez conciliante. C’est le geste de Chatura qui vient tout chambouler alors qu’Anoki comprend que ce qu’elle a imaginé est loin de la réalité. Et que son père croit qu’« une femme ne doit jamais être indépendante, [qu’] une femme n'est pas faite pour être libre ».
Encore aujourd’hui, dans de nombreux pays dont l’Inde, naitre femme est un handicap et Anoki en fait la douloureuse expérience. À travers elle, c’est donc toute la condition des femmes de ce pays qu’on découvre, mais aussi les initiatives qui se mettent peu à peu en place. Il faut toutefois du courage pour choisir la liberté parce que c’est se couper de sa famille, d’un toit, d’un abri. Et faire face à leur colère, parfois à leur vengeance.
J’aurais aimé lire ce récit venant d’une autrice indienne elle-même, mais Anne Loyer est parvenue à donner une authenticité à ses personnages. On sent qu’elle a fait ses devoirs et qu’elle raconter sans juger, simplement pour nous ouvrir les yeux sur une réalité qu’on connait moins.
Le petit plus ? L’alternance entre le récit d’Anoki et les lettres de son frère Kiran, parti étudier en France, montre bien le fossé entre les conditions de vie des femmes en Europe et en Inde, ce qui est assez évident dès le départ, bien sûr, mais révèle aussi qu’il persiste des inégalités en France et que tout n’est pas joué. À travers cette histoire qui se passe ailleurs, le lecteur peut donc s’interroger sur sa propre réalité. Habile !
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