2086. Quand Aria meurt dans la cale du bateau, sorte d’arche de Noé affrétée par son père, la race humaine s’éteint avec elle. Libérés par l’adolescente, trois taureaux, une vache, un lion, quatre chevaux, deux geais, cinq lycaons, trois pandas roux, deux chimpanzés, deux éléphants, une panthère et un python découvrent le Mexique quand leur moyen de transport s’échoue dans le Yutacan. Encore imprégnés de leur vie dans un cirque, ils ont tendance à rechercher la trace des hommes, mais ils devront plutôt apprendre à vivre entre eux, proies et prédateurs, s’ils veulent survivre dans cet univers redevenu sauvage.
Avec Après nous, les animaux, Camille Brunel signe une oeuvre atypique, qui appartient à la fois au roman d’anticipation et à la fable écologique. Pour les lecteurs intermédiaires et avancés.
C’est une lecture très particulière que celle-ci. D’abord parce qu’en tant qu’être humain, on a une tendance inconsciente à projeter nos pensées, notre façon de faire sur les autres espèces (coucou les « mariages d’oiseaux » quand ceux-ci se réunissent sur un fil) et que c’est justement ce que déconstruit Camille Brunel avec ce récit. Ses personnages ne sont pas des animaux « humains », ce sont des animaux, point (sauf Marguerite peut-être, qui est peut-être la seule qui s’anthropomorphise), et cela se ressent dans leurs émotions, dans leurs inquiétudes, dans leur façon de se lier les uns aux autres, dans l’intelligence qui, chez eux, se mélange à l’instinct. Ils sont en déséquilibre, en quête d’un retour à la « normale », en train d’apprivoiser un monde dont ils ne connaissent pas tous les codes, mais aussi occupés à créer entre eux les bases d’une survie de groupe. À former un équipage.
« Les animaux de l'arche gardaient au moins un souvenir du temps trop long de leur domestication : on surestimait souvent le danger représenté par l'inconnu. Le plus souvent les gens - humains ou non - n'étaient qu'une horde de proies, prêtes à décamper au premier feulement. À un jaguar monstrueux près, cela n'avait pour l'instant jamais cessé d'être vrai. »
C’est une lecture lente parce qu’on suit leur parcours vers le nord du Mexique, leur quotidien ponctué d’attaques et de changements d’habitude, de destination, mais on n’est pas dans le suspens, davantage dans l’observation (et certaines descriptions sont parfois très visuelles, cœurs sensibles s’abstenir, mais ce n’est plus le monde des humains et la réalité animale peut être très dure).
Cela n’empêche pas la fascination, parce que Camille Brunel décrit par jungle avec doigté, justesse, qu’on découvre au cours de leur périple ce que l’humanité aura laissé derrière elle (décimée par une épidémie d’ailleurs, c’est un peu effrayant) et que plusieurs scènes sont particulièrement puissantes, soit par leur force de frappe, soit par leur beauté. Un xoloitzcuintle (c’est l’invité du groupe) qui s’émeut devant un ballet de baleines à bosse, des éléphants qui s’éteignent, la naissance de bébés lycaons en pleine attaque… C’est un roman hors norme, une lecture qui m’a sortie de mes habitudes, qui m’a forcée à prendre une pause, à savourer. Parce que tant l’histoire est forte, tant la plume est maitrisée. Chapeau.
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