Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
« Une maison, au milieu des bois. Dans la brume matinale, une ombre s’étire. L’homme est en colère. Cette nuit, la bête a encore mangé trois de ses poules. » Fusil en main, il part, bien décidé à lui donner une bonne leçon. Mais personne, ni belette, ni chevreuil, ni corneille ne peuvent – ou ne veulent – renseigner l’homme. De retour chez lui, il pose des collets tout autour de sa maison sauf qu’il semble oublier que « la bête connaît la forêt comme sa poche, [qu’] elle vivait là bien avant que l’homme s’y installe. »
Pris à son propre piège, le pied bien coincé entre les dents de fer, l’homme a le choix entre abattre l’animal qui se trouve devant lui ou alors tirer – avec la seule balle qui lui reste – sur son piège pour se libérer enfin. Entre les deux, un dilemme s’installe. Immense.
Habile, Michaël Escoffier met ici en scène les thèmes de la vengeance, de la cohabitation (im)possible entre l’homme et l’animal, mais surtout du pouvoir. Si les plus petits pourront se laisser porter par cette histoire qui a des allures de conte traditionnel, les plus grands débattront longuement autour de la finale possible. Qui de l’homme ou de l’animal vivra ? Et pourquoi ?
« Donne-moi une seule raison de ne pas t’abattre ! lance l’homme à la bête. – Si tu me tues, tu mourras aussi, répond-elle ».
Quoi faire alors ? Est-ce que l’homme et la bête sont faits pour s’entendre ? Peuvent-ils cohabiter ? Et s’ils avaient besoin l’un de l’autre ? Mais l’homme va tirer. Il n’a pas le choix. La question est de savoir sur qui, sur quoi. C’est ce qui reste en suspend lorsqu’on referme cet album coup de poing. Un étrange sentiment, un immense silence après ce PAN ! posé en lettres gigantesques sur une double page. Éclaboussé de mille et un éclats, il témoigne de la puissance du geste.
On connait bien Escoffier pour son humour pince sans rire, ses brillants jeux de mots, mais ici il nous prouve qu’il sait manier le sérieux avec autant d’intelligence que son côté clownesque. Et, si le texte bref d’Escoffier est indéniablement puissant, les illustrations qui l’accompagnent assurent l’intensité nécessaire à maintenir le suspense. Le trait franc, tranché de Kris Di Giacomo – qui accompagne souvent Escoffier dans ses délires – a pour effet d’installer un climat glacial, une ambiance tendue. Les silhouettes noires de la bête et de l’homme tranchent par ailleurs sur le décor très épuré. Le duo frappe fort.
Offert dans la nouvelle collection « La Question », cet album ouvre la discussion et incite à la réflexion. Ce qui reste franchement souhaité et nécessaire dans ce monde où tout va trop vite.
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