1916. Pendant que son mari est à la guerre comme la majorité des hommes, Agnès rencontre une contrôleuse de trains qui lui apprend qu’elle peut aspirer à des métiers toujours refusés aux femmes, puisqu’il y a un manque flagrant de main-d’œuvre. C’est ainsi qu’elle quitte l’usine pour devenir conductrice de tram. Du moins jusqu’à ce que la guerre se termine et que les hommes reviennent. Alors que son mari est revenu estropié, hanté par des images de la guerre qu’il noie tous les soirs avec de l’alcool qui le rend violent, Agnès perd son emploi et doit retourner à l’usine, là où ses anciennes collègues se détournent d’elle. Révoltée, Agnès participe à des rencontres des suffragettes pour faire changer les choses. Mais Célestin ne l’accepte pas et Agnès disparait.
Avec cette histoire qui démarre en 1945, alors que la nièce d’Agnès cherche à résoudre le mystère de la disparition de sa tante, Catherine Cuenca parle du travail des femmes durant la Première Guerre mondiale et des répercussions de ces nouvelles responsabilités sur leur désir d’émancipation.
C’est un livre à la fois fascinant et très énervant pour les lectrices, parce qu’on découvre un pan de l’Histoire rarement abordé en littérature jeunesse, avec le travail des femmes pour soutenir l’effort de guerre, mais qu’on y voit aussi à quel point les femmes n’étaient pas reconnues dans ce qu’elles faisaient, dans ce qu’elles étaient. C’est un devoir de mémoire qui rappelle que le droit de vote n’est pas acquis depuis si longtemps (et qu’il ne l’est pas partout dans le monde, d’ailleurs), et qu’il a fallu une chaude lutte pour y parvenir. C’est fou de voir comme la réprobation envers ces femmes qui osaient faire un métier « d’hommes » venait tant des femmes elles-mêmes que des hommes. Que celles qui osaient réclamer l’égalité étaient traitées d’« inverties », souvent rejetées par leur propre famille, dénigrées.
À cette histoire de société plus générale, Catherine Cuenca ajoute celle, plus personnelle, d’Agnès et de Célestin. Ce dernier, revenu blessé de la guerre, réagit très mal en découvrant que sa femme gagne plus d’argent que lui, qu’elle préfère aller à des réunions plutôt que de rester à la maison et sa violence gagne en intensité au fil des pages. Ces difficultés font en sorte qu’on s’attache encore plus à Agnès et les passages où elle parle de sa vie à la maison sont parmi les plus réussis du roman.
En effet, si ce dernier a beaucoup de qualités, certaines scènes semblent parfois un peu trop pédagogiques, comme si l’auteure avait insisté sur certains points pour être bien certaine que son lecteur les comprenne, parfois au détriment de la fluidité. Cela passe notamment dans les dialogues, quand certaines informations sont données davantage au lecteur qu’à l’interlocuteur. Il n’empêche que le récit est fort et offre aux lecteurs d’aujourd’hui un rappel important de cette époque, des dures batailles des femmes et de l’importance de se battre pour ses convictions, le tout présenté avec un suspens concernant le sort d’Agnès. Est-elle vraiment partie de chez elle pour rejoindre le mouvement des suffragettes sans avertir personne, ce soir-là?
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