Billet rédigé par Jean-François Tremblay, enseignant
Jusqu'à ses 9 ans, Ilona a grandi paisiblement dans un village polonais. En 1939, bien que les adultes s'inquiètent d'une guerre et de persécutions envers les juifs, elle poursuit son quotidien d'enfant, s'en faisant peu. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un juif, à part une insulte qu'elle entend souvent et qu'elle a elle-même déjà répétée?
Pourtant, Ilona Flutsztejn-Gruda est juive et Polonaise et, même si elle n'a rien à faire de la guerre, elle devra bientôt s'y habituer. Très rapidement, sa parenté se disperse. Certains partent aux États-Unis, dont sa meilleure amie de toujours; d'autres décident de rester sur place en traitant les fuyards d'imbéciles peureux; elle, sa tante malade et sa mère risquent quant à elles un voyage vers la Lituanie, où son père s'est réfugié. Ce périple ne sera que le premier d'un long exil, qui la mènera profondément au coeur de l'URSS et d'autres cultures qui lui sont complètement inconnues. Si elle aura la chance de ne jamais voir de trop près les champs de bataille et les camps de concentration, Ilona devra sans cesse s'adapter pour survivre et tenter de s’épanouir.
Quand les grands jouaient à la guerre est un roman autobiographique sur l'enfance de Ilona Flutsztejn-Gruda, en pleine Deuxième Guerre mondiale. Le récit avait déjà été publié en 1999 et en 2006. L'auteure, établie au Québec depuis 1969, raconte les évènements marquants de sa vie de guerre dans un style descriptif et réflexif. La famine, l'amitié, l'immigration et la séparation ne sont que quelques-uns des nombreux thèmes touchés en profondeur par l'auteure. L'écriture est accessible à tous, mais, de par certaines scènes plus crues, le roman s'adresse aux adolescents avertis dès 12 ans.
Quand on pense à la guerre, on pense d'abord aux fusils et aux bombes. Avec son roman, Ilona Flutsztejn-Gruda nous éclaire sur d'autres dimensions du quotidien de la Deuxième Guerre mondiale, peut-être moins brutales, mais ô combien éprouvantes. L'auteure illustre ainsi que c'est lors des moments où l'humain est poussé à l'extrême que l'on peut voir sa vraie nature, qui échappe souvent à la logique.
« Je n'ai jamais cessé de penser aux morts, aux survivants, à la grandeur et bassesse humaines. Et toujours la même question me hante : Qu'aurais-je fait à leur place? Comment me serais-je comportée? J'avoue ne pas avoir encore trouvé de réponse. »
Les questions philosophiques reviennent constamment au fil de ses tranches de vie. Même si elle ne se les posait pas petite, c'est ici le regard d'adulte mature de l’auteure qui décortique la nature humaine. Et quelle sagesse! Elle se montre plus critique, mais également plus ouverte et prudente, par exemple en se questionnant sur les motivations de certaines bonnes actions : la solidarité sociale au sein d'une ethnie n'est-elle qu'un autre versant insoupçonné du racisme?... Illona Flutsztejn-Gruda réussit vraiment à ébranler plusieurs certitudes qu'on peut avoir. Son évolution et ses péripéties, racontées sans gêne ni détour, surprennent et marquent le lecteur. On ne peut finir son roman que plein d'admiration pour son courage et sa dignité au travers les histoires qu'elle partage, aussi banales ou incroyables peuvent-elles paraitre.
Si on apprécie pouvoir appréhender la guerre sous un nouvel angle, le style descriptif parfois monotone et certaines références plus pointues à la géopolitique de l'Europe de l'Est pourraient cependant décourager certains lecteurs (je souligne à titre d'exemple les multiples références au communisme, qui n'est jamais vraiment expliqué, et qui est de plus en plus critiqué par Ilona et sa mère au fur et à mesure que le conflit se développe).
Au final, Quand les grands jouaient à la guerre demeure un témoignage intense et dur, qui raconte la guerre sous un des angles les plus humains que je n'ai jamais lu.
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