Tous les ans, à une date fixée depuis bien longtemps, le bébé le plus jeune du Protectorat est remis aux Anciens, qui le déposent dans les bois pour apaiser la Sorcière. Antain est appelé à devenir un Ancien, mais il ne s’est jamais remis de sa première « offrande » et reste hanté par les cris de la mère à qui il avait alors pris l’enfant.
Xan trouve chaque année des bébés dans le bois, mais la Sorcière ne les dévore pas, loin de là. Elle les amène plutôt dans d’autres villes, où ceux qui sont surnommés les Enfants Étoiles trouvent des parents aimants. Mais une année, par mégarde, Xan nourrit l’enfant du clair de lune… et la remplit de magie. Aussitôt, elle sait qu’elle ne pourra pas le confier à d’autres mains et qu’il lui revient d’éduquer la fillette… et de contenir sa magie afin qu’elle ne soit pas un danger pour elle-même.
Mais dans la ville, la mère de cet enfant, devenue folle, a été enfermée dans la Tour des Sœurs, où passe un jour Antain. Et ce dernier décide que cette histoire de sorcière a assez duré… au moment même où Xan s’affaiblit et que les pouvoirs de Luna éclatent.
La fille qui a bu la lune est un roman de fantasy accessible qui aborde les thèmes de l’aveuglement et de la manipulation, mais aussi de la famille, de la loyauté et de la persévérance. Costaud avec ses presque 400 pages et ses nombreux personnages, mais rythmé, il convient aux lecteurs intermédiaires et avancés et plaira tant aux plus jeunes qu’aux plus vieux.
Oh. Oh. Oh. J’aime la fantasy, mais je suis critique. Quand on tombe trop dans les clichés, que tout est tracé d’avance, je rechigne. Et bien ici, pas du tout. En fait, ce roman a le potentiel d’un classique, offrant une intrigue en plusieurs niveaux, des rebondissements inattendus, des personnages riches et nuancés… le tout porté par une plume magnifique. Que demander de plus?
C’est la langue qui frappe d’abord, cette écriture imagée qui fait qu’on s’y retrouve facilement même si l’univers est complexe et les personnages, nombreux, dispersés en différents lieux. Chapeau d’ailleurs à la traductrice qui a su conserver la poésie.
« C’était l’époque où ses pieds s’ajustaient à la perfection sur l’arrondi de la terre et où ses pensées s’empilaient proprement – les unes par-dessus les autres – dans les placards de son esprit. Mais ses pieds n’avaient plus senti la terre depuis si longtemps, et ses pensées s’étaient muées en tornades et en ouragans qui avaient vidé tous ses placards. »
Puis l’histoire se déploie, en plusieurs avenues puisqu’on suit différents personnages, divers destins qui se croiseront dans une finale grandiose, peut-être (et c’est sans doute le seul bémol) un peu trop portée par les bons sentiments. Kelly Barnhill offre une fantasy riche, avec des personnages qui ne correspondent pas aux stéréotypes habituels : un monstre qui aime la poésie, un dragon nain, un héros au visage couvert de cicatrices, une sorcière au cœur tendre, une femme protectrice qui révèle des griffes de tigre… et l’auteure fait aussi écho aux romans dystopiques qu’on retrouve tant sur le marché : au Protectorat, les gens au pouvoir sont bien conscients que la Sorcière qu’ils utilisent pour maintenir la population dans la peur n’existe pas… mais ils seraient fous de s’en passer, se disent-ils, puisque son ombre leur permet de garder une emprise sur le peuple. Mais le filtre de chagrin qui berce la ville s’effrite peu à peu et une rébellion couve…
Il y a des leçons à retenir de ce livre, entre autres sur ces histoires que l’on croit aveuglément, ces préjugés que plusieurs entretiennent parce qu’ils les servent bien. Pourtant, ce n’est jamais trop appuyé, tout passe par l’histoire et par les personnages sans que la voix de l’auteure vienne se superposer, comme c’est parfois le cas. Si on reste dans une intrigue adaptée aux lecteurs dès 10 ans, les multiples niveaux de lecture font que ce récit à l’intrigue parfaitement maitrisée peut plaire vraiment à un large public. Il y a quelque chose de magique, un potentiel de classique, dans ce récit qui, via l’imaginaire, parle de ce que nous sommes et de ce que nous choisissons d’être en vieillissant, en plus de dire à son lecteur de suivre son instinct et de se faire confiance. Coup de cœur!
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