La Lune est à nous

Billet rédigé par Jean-François Tremblay, enseignant

Olivia est youtubeuse et s'implique dans sa communauté; Max est un grand frère génial et attentionné, mais plutôt taciturne avec les autres. Ce qui apparie d'abord les deux adolescents belges de 17 ans, c'est qu'ils sont chacun marqués par un deuil. Depuis la mort de ses parents et ensuite le départ de ses frères ainés, Olivia vit seule avec son oncle et sa tante, que tout sépare d'elle. Max, lui, se voit contraint de déménager en Belgique avec sa mère et son petit frère après la séparation de ses parents. Aujourd'hui, les deux broient du noir face à leurs figures parentales. Ensuite, il y a leur apparence physique, qu'ils acceptent mal. Les deux sont gros et, « comme si ce n'était pas assez », Olive est noire; Bouboule est gay.

Les deux protagonistes ne tardent pas à se rencontrer. Dans un élan de confiance en elle, Olivia, alias Curvy Grace, s'apprête à réaliser le Swimsuit Challenge (un équivalent fictif du Ice Bucket Challenge) en maillot de bain rouge sur un terrain public. L'événement tourne au vinaigre. Une famille pique-niquant là la dénonce haut et fort, prétextant qu'elle parait ainsi grossière et donne un bien mauvais exemple pour les enfants. La discussion s'envenime et l'homme n'hésite pas à la ridiculiser et l'insulter effrontément devant tous les curieux – et un téléphone qui capte la scène. Et là, Max, tout simplement, arrive au bon moment, compatissant…

Ayant peur de passer pour les deux gros qui s'assemblent dans le rejet, leur rapprochement n’est d’abord pas facile à l'école. Avec l'aide d'Olivia, Max se taille tranquillement une place dans la communauté du Dépôt (un centre communautaire jeunesse) et rencontre au passage le trop charmant Seb. Mais le bonheur n’est pas pour autant facile. Olivia est sans cesse harcelée sur les réseaux sociaux pour avoir « volé » la troisième place du populaire trio de bloggeuses des Trois Grâces et Max tente tant bien que mal d'assumer son homosexualité et de sortir du placard dans sa famille dysfonctionnelle.

La Lune est à nous est un roman réaliste sur l'acceptation des différences et l'épanouissement dans notre société occidentale moderne. Celui-ci aborde plusieurs thèmes de front, comme l'apparence physique, l'obésité, les réseaux sociaux, l'homosexualité, les relations parents-enfants, le racisme et le harcèlement. Ne craignant pas les mots, l'auteure, Cindy Van Wilder, utilise une langue moderne qui peut parfois se montrer dure et crue (et par moments très belge aussi!). Pour ces raisons, le roman s'adresse aux adolescents de 14-15 ans et plus.

Mon avis

Les histoires qui traitent de la différence pullulent. Toutefois, La Lune est à nous a, à bien des égards, quelque chose de rare et de particulièrement fort, un scénario sans détour qui atteint un point de crédibilité surprenant. On pense bien sûr en premier au duo de personnages, autour desquels le texte tourne. D'emblée, on comprend que l'auteure ne les ménagera pas : Max et Olivia sont gros, « esthético-socialement » laids, et doutent constamment de leur valeur sociale à cause de leur apparence… « Je ne me ferai jamais d'amoureux. », « Je ne pourrai pas paraitre sur vidéos et être aimée. », « Ceux que j'aime me préféreraient différent. » Ouch! Voilà des réflexions qui font mal. Oui, ils dénoncent et refusent d'accepter ce second rôle du « moche », mais non, ils n'arrivent pas à se débarrasser du mépris contre lequel ils doivent incessamment lutter dans un monde où le bon sens est souvent évincé par le diktat de l'apparence. Si beaux et si laids à la fois… Que faire?

« La rage m'a pris à la gorge contre les autres, contre moi-même. Je veux être normal. Marre d'être différent. »

Heureusement, le Dépôt et le trio des youtubeuses d'Olivia permettent au duo d'évoluer avec un entourage fort, stable et, surtout, infiniment précieux. Leurs nombreux amis font office de famille et de points de repère pour ces adolescents déboussolés (le seul problème ici, c'est que le lecteur s'y perd un peu tellement ils sont beaucoup). La solidarité et la loyauté qui en émanent sont d'une telle beauté! Une force tranquille. À côté de ces amitiés, certaines relations de l'histoire paraissent bien futiles et insipides, comme la course à la popularité déloyale que mène l'ex-vedette des Trois Grâces, Cathy, contre ses anciennes collègues et Olivia. Franchement, on ne peut qu'adorer les négligés!

Pour venir à bout de l'oppression, Max et Olivia devront prendre des risques pour rebondir et s'affirmer. Le livre progresse par l'alternance des deux voix, qui se répondent superbement, qui se font écho dans leur misère et leur douceur, l'une pour l'autre. Le point culminant, que tout le roman prépare, est l'affrontement final d'Olivia contre Cathy dans un concours de beauté et la sortie du placard de Max. Ce ne sera pas facile, aucun ne fera l'unanimité, mais chacun avancera et arrêtera de vivre à moitié, caché. La morale qui doucement s'en dégage est que la vérité, même si elle ne plait pas à tous, libère et permet de s'épanouir tel que l'on est : célébrons les différences! La lune est à nous constitue un véritable message d'espoir pour tous ceux qui souffrent de leurs différences avec la norme.

Quoi de mieux pour clore cette pure beauté qu'un numéro de danse inspiré d'un vidéoclip à succès loin de tous les clichés d'esthétisme, où chacun peut être beau pour ce qu'il est? Vous laisserez-vous tenter? 

Merci aux éditions Scrineo pour le roman!