Instant de la fracture (L')

Le temps d’un souper de Noël en famille, alors que les autres le semoncent de sourire, d’être dans l’esprit des fêtes, il serre les dents. Parce qu’il sait que s’il parle, tout volera en éclats. Qu’il y aura des camps, des déchirures, que l’innocence des autres est en danger. Parce que la sienne a été prise des années auparavant par cet homme, ces mains baladeuses. Celles qui se posent à présent sur son neveu et sa nièce le temps de chatouilles. À la recherche de peau. Il serre les dents. Est-ce le temps de tout dire?

Antoine Dole frappe fort avec ce roman poétique de 40 pages qui propose un monologue mental où le personnage, torturé, traverse un repas familial en se questionnant : doit-il ou ne doit-il pas parler?

Mon avis

Après Naissance des cœurs de pierre qui m’avait laissé un profond sentiment de malaise au ventre à cause de l’histoire terrible mise en scène, Antoine Dole revient avec un texte percutant, mais fort différent. Ici, tout se déroule en 40 pages. Il y a peu de construction narrative, si ce n’est une tension qui monte avant la révélation du secret, on est dès le départ à cet « instant de la fracture », les pensées se bousculant contre les dents serrées, le personnage principal étant au bord du gouffre.

« C’est bête.

De croire qu’il reste quelque chose à détruire.

Que ça dépend de moi.

Parce que je suis déjà seul, au milieu des ruines. »

L’écriture est incisive, ciselée, la forme permettant une lecture qui déboule, rapide, essoufflante, plaçant le lecteur sur le bout de sa chaise. Il y a tant de souffrance dans les mots du narrateur, d’autant plus frappante qu’on est là, en plein repas de Noël, avec cette famille qui semble heureuse, inconsciente du moment dramatique qui se produira peut-être, inconsciente (vraiment ?) de ce qui s’est passé avant, de cette enfance piétinée. Ce livre est un appel au secours terrifiant. Un appel à la prudence aussi. À ouvrir les yeux.