Dans le Premier plan, Inès, 12 ans, a toujours été la protectrice de Tristan, 16 ans, neuro-atypique que le bégaiement n’aide pas dans ses contacts sociaux.
Dans le Second plan où ils « débordent » un beau jour à la recherche de leur chien, Inès est renommée Ignace Dulac par celui qui la tire d’un mauvais pas et tout de suite reconnue pour son habileté hors norme de Cordiste, la jeune fille étant capable de descendre dans le Lac Zéro sans avoir peur. Devenue le projet personnel de Philadelphe Saint-Esprit, Chef de la Garde, et source de curiosité au château, elle se perd entre les brioches et les sorties au Lac, l’eau d’oubli ayant effacé peu à peu se souvenirs d’avant. Moins chanceux au départ, Tristan fait quant à lui rapidement la connaissance d’Alma, tout juste sortie de prison, et découvre l’univers des laissés pour compte de ce Bordeterre, prenant peu à peu de l’assurance au contact de celle en qui couve la révolution. Lui aussi a oublié le Premier plan, mais quand il tombe sur une photo d’Ignace Dulac, il se souvient d’Inès. Et il sait tout de suite qu’elle doit faire partie du plan s’ils veulent vivre un grand Débordement…
Avec ce récit dont l’intrigue semble s’être nourrie des plus grands romans fantastiques, Julia Thévenot offre une lecture magistrale aux lecteurs amateurs d’aventures qui demandent du souffle et sont construites en multiples couches, abordant des thématiques actuelles et puissantes tout en éveillant l’imaginaire !
«J'aime p-pas la façon dont cette ville fonctionne, dit-il. Elle est violente envers les plus fragiles, i-inhospitalière et tyrannique. »
J’ai connu Julia Thévenot par son blog, Allez vous faire lire, un bijou quand il est question de parler de littérature jeunesse. Elle y écrit des billets brillants, justes et drôles (avec une abondance de GIF que j’adore) sur la littérature jeunesse, avec un regard critique que j’envie, capable de relever (et de nommer) ce je-ne-sais-quoi qui fait qu’un roman fonctionne ou pas. Bref, je l’admire. Quand j’ai su qu’elle avait écrit un livre, j’avais donc à la fois très hâte et très peur. Très hâte parce que je me disais que ça ne pouvait être qu’extraordinaire, très peur parce que parfois quand les attentes sont trop grandes… on est déçus.
Mais comme j’inaugure avec ce billet le visuel « coup de cœur », vous savez déjà que ce n’était pas le cas, au contraire. En fait, Bordeterre est tout à fait à la hauteur de mes attentes : un roman touffu dans lequel les personnages semblent vivants et sortir des lignes pour nous entrainer dans une histoire aux multiples ramifications qui ne prend pas son lecteur pour un imbécile tout en parlant à l’enfant en lui. On est dans le fantastique avec des inventions surprenantes et des créatures hors-normes, mais on est aussi dans l’adolescence authentique et dans l’amour des mots à travers une magie qui se nourrit de textes de chanson et de poésie (avec ainsi de multiples références, passant de Gainsbourg à Angèle, puis de E.E. Cumings à Prévert avec de nombreux détours absolument géniaux).
À travers ça, des dialogues punchés, des destins qui s’entremêlent avec nuances, des personnages qui vivent la rage au ventre, des adultes qui décident de croire en la jeunesse, des débordés transparents, un canard domestique qui joue les pigeons voyageurs, un Gouverneur qui parle dans les têtes (et donne des frissons), des fléreurs à trois yeux et j’en passe. Bref, une écriture brillante et de l’inventivité à chaque page et des surprises qui gardent l’esprit éveillé et le cœur battant. Jusqu’à la finale… et sans en dire trop (parce que je ne veux pas gâcher votre plaisir), sachez que ce n’est doux. C’est sanglant, certains n’en réchappent pas et ça ajoute encore à la qualité du récit parce que c’est la réalité : la vie n’est pas un conte de fées. Quand on se bat pour ses idéaux, quand on se révolte, il faut être prêt à en payer le prix et Julia Thévenot le met en scène avec des images fortes et marquantes à travers lesquelles toutefois, à l’image du reste roman, on sent sa précieuse affection pour ces personnages atypiques.
Le petit plus ? Il y a la révolution, la fratrie, la solidarité dans ce roman, mais il y a aussi l’amour. Et j’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé comment l’autrice a abordé cette facette de son histoire, avec des personnages (tant féminins que masculins) qui ressentent des envies contradictoires, des geysers d’émotions, mais aussi la nécessité de s’apprivoiser l’un l’autre, et souvent à travers les mots des autres, ces poètes et ces chansonniers qui parsèment les pages. C’’est magnifique de justesse.
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