Soleil glacé

Luce devrait ressentir quelque chose. Autre chose que ce grand vide. Il y a eu la trahison de Tristan qui l’a quitté par textos et l’a aussitôt remplacée par une autre. Il y a aussi eu la mort de son père, cet homme qu’elle ne voyait qu’en pointillés. Et à l’enterrement, il y a l’Autre Famille. Cette femme à qui il a fait deux enfants. La jeune Pia, mais aussi Pierrot un garçon qui ne semble avoir que quelques mois de différence avec elle et qui a le syndrome du X fragile. Luce n’y connait rien, au X fragile. Mais elle se sent tout de suite une connexion avec ce demi-frère qu’elle n’a jamais vu. Et si au départ elle suscite des crises dans sa façon trop brusque de vouloir entrer dans sa vie, elle crée rapidement un contact avec lui. Elle noue un lien. Et elle a aussi l’impression qu’il peut faire bien plus que cette petite routine à laquelle il est confiné dans son centre. C’est ainsi que nait le projet père Noël et que démarre ce road-trip vers la Laponie qui leur fera vivre une aventure pour le moins marquante.

Séverine Vidal s’attaque aux préjugés avec ce récit qui parle de déficience, mais aussi de famille, de construction de soi, de résilience, de deuil et d’entraide, le tout sans compromis. Il vise ainsi un public avisé.

Mon avis

En finissant mon secondaire, j’ai été engagée comme éducatrice avec des jeunes adultes autistes. Je n’y connaissais rien, mais j’avais semble-t-il une sensibilité particulière, une capacité à entrer dans leur bulle, à me fier à mon instinct pour les rejoindre. Ça n’a pas toujours été évident, j’ai parfois frappé des murs et engendré des crises, mais j’ai aussi fait de superbes rencontres, vécus des moments hors de l’ordinaire. Et c’est exactement ce que j’ai retrouvé dans ce roman.

Il y a une grande justesse dans l’écriture de la relation entre Luce et Pierrot. Non, la jeune adulte ne respecte pas les codes. Oui, elle fait parfois des erreurs, mais il y a entre les deux un lien très fort qui se tisse et Luce arrive à amener son demi-frère dans des zones vers lesquelles les autres ne l’auraient jamais cru capable d’aller. C’est touchant à lire et ça apporte de la douceur à ce récit qui est sinon fait de beaucoup d’aspérités. Luce est en effet construite d’un seul bloc, pleine de rage suite à la trahison de son ex-amoureux, face à ce père qui n’a jamais osé être entier avec l’une ou l’autre famille et qui ne pourra plus l’être maintenant qu’il est mort. Et l’écriture va dans ce sens. Rapide, parfois rêche, à la fois crue et claquante. Puis le road-trip démarre et les coins semblent s’arrondir. Luce reste elle-même, mais elle s’adoucit, elle ajuste le réel pour son frère. Et si certaines scènes sont encore difficiles, c’est comme si les couleurs avaient changé.

Ce n’est pas mon roman préféré de Séverine Vidal, j’ai eu une impression de trop vite au départ et surtout sur la fin, mais Luce et Pierrot sont des personnages qui me resteront longtemps en tête, deux êtres particulièrement bien incarnés. Justes. Un garçon différent doté d’un immense coeur et une jeune adulte remplie de fougue qui refuse les barrières. Beau.

Le petit plus ? La normalité de l’homosexualité de la mère de Luce. Celle-ci vit désormais avec Hélène et on sent entre les deux une forte complicité, comme si elles se complétaient l’une l’autre. Ce sont des personnages plus en marge du récit, mais qui apportent aussi beaucoup et j’aime comment leur orientation sexuelle ne devient pas « un thème », mais fait simplement partie de la réalité présentée. On en prendrait plus encore en littérature jeunesse !