Deux fleurs en hiver

Déjà quand Capucine a dit qu’elle voulait faire un Bac Pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne), les gens l’ont trouvée bizarre. Alors lorsqu’elle a choisi d’aller faire son stage chez « les vieux », dans un EHPAD, au lieu de travailler en crèche avec les bébés, c’est comme si elle était une extraterrestre. Mais Capucine est un peu un extraterrestre, oui, avec ses perruques multicolores, son aura de solitaire et ses sourires qui cachent les failles, trop nombreuses, depuis l’accident.

Les sourires, ce n’est pas l’affaire de Violette, nouvelle résidente à l’Ehpad Bel air. Déjà, les « vieux » ne l’intéressent pas. Et puis, elle se fait du souci pour son chat, Crampon, qu’elle a dû laisser chez elle devant l’insistance de son fils de la placer depuis sa dernière chute. Et il y a ce secret qui empoisonne sa relation avec cet enfant et qu’elle ne sait pas comment aborder.

Et si l’une avait besoin de l’autre ?

Delphine Pessin signe un roman touchant et très juste qui aborde à la fois le deuil, le poison des secrets qui perdurent et la difficulté de vieillir, en plus de lever le voile sur la réalité des soignants en EHPAD (ou en CHSLD, au Québec). Pour tous les lecteurs.

Mon avis

J’avais déjà été convaincue par l’approche de Delphine Pessin dans Dys sur 10. Cette autrice sait se glisser dans la peau de ses personnages et leur donner vie avec authenticité, d’en faire presque des amis du lecteur qui est dès lors beaucoup plus touché par leur réalité.

Cette fois, elle met en scène une adolescente fissurée à la suite d’un accident qui a causé la mort de sa mère, lui a laissé une terrible cicatrice et semble avoir abimé à tout jamais son lien avec son père. En alternance avec la voix de Capucine, il y a aussi celle de Violette, une femme âgée qui vit un choc quand elle doit quitter sa maison pour se retrouver dans un Ephad, elle qui est, tout comme le lecteur d’ailleurs, remplie de préjugés sur ces endroits. Et puis il y a la présence en pointillés de Crampon, ce chat qu’on imagine très laid (oui, oui), mais qui finit par panser de nombreuses plaies.

« La peur n'a jamais empêché les choses d'arriver. Ça les rend juste plus difficiles. »

Les deux femmes se rencontrent, d’abord de façon un peu brutale, puis elles se découvrent et c’est comme si leur récit personnel se faisait écho au fil des pages alors que Capucine affronte les non-dits entre son père et elle et que Violette apprend à vivre dans cet endroit qu’elle redoutait. En racontant leur histoire, Delphine Pessin met ainsi la lumière sur le métier de soignant, trop souvent sous-valorisé, et sur les difficultés du milieu. Pressés de toute part, les soignants manquent de temps pour offrir les soins de base, alors pour ce qui est de l’humanité… c’est compliqué. Il y a l’épuisement, le manque de personnel, les règles strictes… mais il y a aussi des humains et la volonté d’aider les résidents en perte de repères qui ont pourtant tellement besoin de ces sourires, de ces attentions. Qui ont besoin de sentir qu’ils existent encore, qu’ils ont chacun leur individualité. En montrant la réalité crue, mais aussi les petits bonheurs du quotidien, l’autrice signe un récit qui touche sans tomber dans la lourdeur, réalisant un véritable travail d’équilibriste.

Le petit plus ? C’est rare en littérature jeunesse qu’on nous montre (et encore moins qu’on en fasse des héros) des ados qui sont dans une filière professionnelle par choix. Par envie. Parce que c’est ce qu’ils ont envie de faire. Et pourtant, ça existe et ce serait bien qu’on le voit davantage !