Ogresse

Surnommée H, Hippolyte tente de traverser son adolescence le plus normalement possible malgré le divorce de ses parents et les commentaires souvent limites de ses seuls amis. Mais sa mère se comporte de façon de plus en plus étrange, la gavant de viande sans ne plus jamais se nourrir et cessant d’aller travailler pour passer de (très) longues heures dans la cave qu’elle maintient verrouillée. Et puis tout bascule quand elle attaque H, un soir, tentant de la mordre. Que se passe-t-il ? Ce n’est certainement pas auprès de son père, qui semble marcher dans la vie avec des œillères accrochées sur la tête, qu’Hippolyte pourra trouver de l’aide. Mais vers qui se tourner ? À qui dire ce qu’elle soupçonne sans que sa mère se retrouve en danger ?

Observant le passage de l’adolescence à l’âge adulte à travers le prisme de l’horreur, Aylin Manço propose un roman relevé qui aborde aussi les thématiques de la famille, de l’amitié, de l’intimidation et de l’amour, H cherchant à se définir comme fille, femme, amie, amoureuse. C’est une lecture pour lecteurs avisés, à la fois pour la complexité du récit que pour la sexualité qui y est présente.

Mon avis

Je pense que « déconcertant » est le meilleur mot pour décrire ce roman qui aborde à la fois l’adolescence de façon authentique et plonge dans l’horreur via la passion pour le moins déstabilisante de la mère de H pour le sang. Dès les premières phrases (« Hier soir, maman m’a fait manger du cœur. C’était du cœur de bœuf. Le cœur est notre muscle le plus puissant et ça se sent quand on en mange ; la viande résistait sous mon couteau à steak, il fallait la scier pour trancher les fibres. »), on sait qu’on est dans un récit où l’écriture a autant d’importance que l’histoire. Aylin Manço joue en effet avec la langue, les images fortes et les évocations pour faire naitre tantôt la fascination, tantôt le dégout chez ses lecteurs, les immergeant avec Hippolyte dans une histoire aux frontières du réel. D’ailleurs, vegans et végétariens, vous risquez de trouver certains passages difficiles tant tout ce qui a trait à la viande est décrit en détail, ce qui peut susciter certains haut-le-cœur. Parce qu’il y a au cœur du récit tout ce rapport à la viande et au sang, tout ce que H soupçonne de sa mère, la peur que ça fait naitre en elle, mais aussi le besoin furieux de la protéger malgré les nombreux dérapages. Ainsi, l’autrice aborde la violence au sein même de ce qui devrait être un espace sécuritaire, un cocon, et montre une adolescente en perte de repères qui s’accroche à cet amour filial même si elle sombre elle-même peu à peu.

C’est de l’extérieur que viendra finalement l’aide, parfois contre la propre volonté de H, de ce duo-devenu-trio qui l’entoure et qui permet à Aylin Manço d’aborder aussi les relations gars-filles à l’adolescence (avec en bonus la question de l’amour et du respect au temps des réseaux sociaux et des photos de nudité) et l’amitié nécessaire à cet âge, le tout en posant un regard très juste sur ses personnages bruxellois. On croit aux répliques que s’échangent Kouz et Benji au-dessus de la tête de H dans le bus et à la réaction de cette dernière, qui choisit consciemment de les ignorer, à leur méchanceté impunie face à Lola, puis à ce rapprochement, à la dynamique nouvelle qui se crée. Tout coule de source, tout fonctionne. L’authentique dans l’irréel, ce qui rend le reste du récit d’autant plus fort. Chapeau.

En bref ? Un livre puissant, exigeant, organique, qui ne peut laisser indifférent. Grands sensibles, s’abstenir.  

Merci à Sarbacane pour le service de presse !