Point de fuite

Il y a Mona, lycéenne solaire qui ne lâche jamais son crayon, croquant son quotidien dans ses carnets, et prépare son concours d’entrée aux Beaux-Arts. Il y a Marin, renommé Curry, meilleur ami militant pour le respect de la terre. Il y a Cassien, qui traine les fantômes de son passé au Rwanda et de ce qu’il a perdu pour survivre. Il y a Lya, qui s’est reconstruite dans son appartement avec son chat Batna après des années de souffrance. Il y a Esther, qui se réfugie dans la compétition sous l’eau, mais qui a grandi étouffée par un frère manipulateur, sournois. Et il y a Ycare. Qui a trouvé sa nouvelle proie.

Après Quelques secondes en moins, Marie Colot et Nancy Guilbert réunissent de nouveau leurs forces dans ce roman choral qui parle de manipulation, d’emprise et de violence à l’intérieur d’un couple. Poignant, le texte s’adresse aux lecteurs avisés.

L’avis de Sophie

Psst, pour m'entendre en parler dans le podcast de la semaine, c'est ici : Sophielit.ca dans tes oreilles !

« On ne porte jamais quelqu'un sur ses épaules, parce qu'on finit par tomber avec elle, mais on reste là, à côté. »

Ouf, quelle lecture ! Ce nouveau Électrogène, collection électrisante des éditions Gulf Stream, est à la hauteur de sa magnifique couverture et de ses pages rouges : enlevant.

Le sujet est sensible, mais les autrices ont su l’aborder avec finesse et pudeur. S’il est question de violence, et pas que la violence du couple, elles ne tombent jamais dans les scènes trop explicites, dosant plutôt les détails pour que l’effet reste percutant, alors que l’alternance des voix permet aussi des respirations entre les moments plus denses. C’est d’ailleurs la construction de ce récit à plusieurs qui m’a marquée. D’abord parce que les personnages mis en scène offrent des points de vue différents sur le sujet, mais sont aussi à des stades divers de leur vie. Certains entrent dans un cycle violent, d’autres tentent d’en sortir, d’autres encore sont en reconstruction. Et tous ces angles se croisent, ajoutant à la richesse de l’histoire.

Ensuite parce que la construction permet au lecteur de se faire prendre au jeu lui-même. En effet, à la lecture de la quatrième de couverture, nous savons qu’il y aura un amoureux qui brisera Mona, alors nous l’attendons. Et le premier prétendant est tout de suite énervant, comme s’il était « trop ». Trop prévenant, trop présent, trop envahissant. Et c’est là tout l’art des autrices. Parce que celui qui se révèle manipulateur, imbu de lui-même, destructeur, c’est celui qui apparait d’abord comme le sauveur. Celui qui charme, qui prend le temps de tisser sa toile, de se montrer juste assez prévenant, juste assez présent pour créer un manque. Pour devenir essentiel. Et ainsi pouvoir prendre toute la place.

Oui, de l’extérieur il est parfois difficile de comprendre comment une personne intelligente, forte, bien entourée, peut se faire attraper dans de tels filets. Mais les plus grands esprits narcissiques sont aussi souvent les plus habiles manipulateurs. Et les autrices nous le démontrent ici, mettant à jour les mécanismes de l’emprise à travers le récit, montrant les répercussions dans un couple, mais aussi dans une famille, grâce à la voix d’Esther, particulièrement chouette.

C’est donc un roman qui n’est pas facile à lire, mais nécessaire, un récit qu’on dévore rapidement parce qu’il y a l’urgence de découvrir ce qui attend Mona, encore, d’espérer qu’elle arrivera à s’extirper du piège avant qu’il se referme complètement, mais aussi parce que chacune des voix est interpelante. Chapeau !

Merci à Gulf Stream pour le service de presse !