Lettre à toi qui m'aimes

« J’aurais peut-être dû faire attention à ton coeur, quand tu me l’as collé dans les bras. Je l’ai piétiné, et ça ne se fait pas – même à petits pas précautionneux, on n’a pas le droit ; on ne brise pas les coeurs, voilà. »

Yliès, tout de suite renommé Roméo, tombe amoureux de Pénélope dès le premier regard, quand il vient auditionner pour devenir le guitariste de son groupe. Adopté par le trio de musiciens, il joue de ses charmes pour se rapprocher de la surnommée Penny et celle-ci ne semble pas indifférente. Est-ce de l’attirance ? Oscillant entre le oui et le presque, Pénélope fait durer le flou artistique même quand elle comprend qu’Yliès ne fera jamais naitre chez elle le feu qu’allume Côme, un étudiant de son cours d’art. Est-ce méchant ? Est-elle coupable ? Pourquoi celui ou celle qui n’aime pas est toujours l’accusé.e ?

Avec ce court récit écrit qui au « tu », dans lequel Pénélope explique à Yliès, sa vision de leur histoire, Julia Thévenot parle d’amour, d’amitié et de désir, du flottement qu’il existe parfois et des non-dits qu’on pense plus doux et qui se révèlent douloureux. Bien que court, le roman vise les grands lecteurs.

L’avis de Sophie

Après Bordeterre où elle déployait toute la force de son imaginaire, Julia Thévénot propose ici une oeuvre plus réaliste, ancrée dans le quotidien de lycéens en fin de parcours dans une petite ville, centré sur les sentiments et plus dans la psychologie que dans l’action. C’est toutefois loin d’être ennuyant et, si l’imaginaire est moins percutant, l’œuvre s’éclate ici dans sa forme, avec un texte aéré, des envolées de ponctuation et un récit entre prose et poésie.

Avec Lettre à toi qui m’aimes, l’autrice nous raconte une histoire qu’on a déjà lue souvent, mais rarement du point de vue de celui (celle, dans le cas-ci) qui n’aime pas. Et alors qu’on joue bien souvent avec le côté victime de celui qui est rejeté, ici elle met la lumière sur le bon sens dans une telle situation : non, il n’y a pas de « méchant ». Parfois de l’ambivalence, parfois de la maladresse, parfois aussi des décisions douteuses, mais sa Pénélope ne choisit pas de faire souffrir Yliès, elle vit aussi toute une gamme d’émotions, faisant découvrir au lecteur la culpabilité qu’on ressent (et qu’on nous fait ressentir) quand on ne rend pas l’amour et l’évidence, énoncée par Dudley, le bassiste du groupe : « Même si tu n’avais pas été avec [l’un] tu n’aurais pas été avec [l’autre] pour autant ».

Le plus ? Il y a, comme j’ai l’impression qu’il y aura toujours dans les propositions de cette autrice, la culture qui bout entre les lignes. On sent toute l’étendue de sa soif, de sa gourmandise culturelle (sans élitisme), distillée au fil des pages, entre les surnoms des musiciens du groupe qui font référence à Harry Potter (Dudley) ou l’ère numérique (Jobs), les prénoms de ses héros (Yliès et Pénélope, quand même), les références musicales lors des recherches de Roméo dans les affaires du groupe, les subtils liens à faire au fil des pages entre cette histoire qu’on nous raconte et d’autres oeuvres de tout genre. C’est un récit qui donne l’impression d’être foisonnant tout en étant court, qui est un peu pointu, qui vise clairement un public qui apprécie le littéraire, mais qui n’est pas hermétique pour autant. Décidément, une plume à suivre.

Pssst ! Ce billet a été écrit dans le cadre d’un « blog tour » organisé par les éditions Sarbacane au cours duquel une foule de blogueurs parlent du roman de façon originale avec des concours, des entrevues, des fouilles archéologiques dans l’inspiration de l’autrice, des lives, etc. Suivez-les !  

Merci aux éditions Sarbacane pour le service de presse !