De son œil

Ça y est, le miracle s’est produit. Noah Pellerin, « le » Noah Pellerin, le garçon le plus admiré de l’école, a demandé au narrateur d’être son tuteur en mathématiques. Lui qui l’observe depuis longtemps à l’école, cherchant à percer le secret de son charisme, de sa gentillesse, de la popularité, et ne savait pas comment pénétrer la bulle de son intimité. Comment entrer chez lui. C’est l’occasion ou jamais. De se rapprocher vraiment de Noah. De, qui sait, nouer une relation. De gratter le vernis de la surface. Et de tomber sur les failles…

Après le vibrant Rap pour violoncelle seul, Maryse Pagé revient chez Leméac avec De son œil, un récit intimiste écrit au « tu » dans lequel le narrateur s’adresse à l’objet de son observation. Abordant les thèmes de la popularité, de la différence, de la famille et de la violence dans un texte bref et constitué de phrases courtes, l’autrice peut rejoindre tous les lecteurs, mais s’adresse surtout aux plus matures étant donné la dureté de certaines scènes.

L’avis de Sophie

J’ai eu l’impression que Maryse Pagé avait trouvé une voix vraiment intéressante avec Rap pour violoncelle seul, j’étais donc impatiente de découvrir son nouvel opus qui nous plonge dès le départ dans la tête de ce narrateur (qui n’est nommé qu’à la toute fin et je vous garde la surprise) bien particulier. Le trouble du spectre de l’autisme n’est jamais mentionné, mais la concision de ses phrases, l’acuité de son regard, sa difficulté à se lier aux autres, ses fixations, son esprit d’analyse, sa mémoire et son intelligence font de cet adolescent un être à part. « Spécial » à connotation négative, élément qu’il aimerait bien renverser en s’inspirant de Noah.

Pour les habitués de Leméac, le narrateur aura peut-être au départ un petit air de Larry/Leaticia, héro.ïne de Simon Boulerice dans L’enfant mascara (d’ailleurs Maryse Pagé utilise aussi une langue très parlée dans les dialogues, tranchant avec celle utilisée dans la narration). Sa fascination pour Noah est en effet intense et on se demande si ce n’est pas malsain et si l’intrigue ne nous entraine pas dans une direction plus glauque. Ce n’est toutefois pas le cas ici. Le narrateur est respectueux, quoiqu’un peu obsédé, et cherche des réponses à ses questions… tout en ne sachant pas toujours quoi faire de celles-ci. Difficile d’en dire plus sans gâcher de surprises, mais celui qui observe fera quelques découvertes qui perturberont son univers. « Noah le si gentil, le parfait » possède de multiples facettes…

De son œil est donc un récit psychologique dont le rythme est donné par l’écriture saccadée et qui parle de différence, de relations interpersonnelles et d’adolescence dans un univers un peu flou, qui suscite l’envie d’en savoir plus. La fin, ouverte, m’a quand même semblé rapide et la conclusion d’une scène forte m’a laissée sur ma faim, mais ça reste un texte fort intéressant qui montre que ceux que nous admirons ont parfois aussi leurs problèmes… et des façons de les gérer pas toujours brillantes.  

Merci à la maison d'édition Leméac pour le service de presse !