Un sourire peut-il masquer le désespoir?
Jamais la narratrice n’aurait cru pouvoir se poser cette question à propos de son lumineux grand frère. Pourtant…
« Et puis un matin...
Le silence. »
En voyage scolaire, l’adolescente apprend que son frère a eu un accident mortel en voiture. Un avion la ramène à sa famille, là où elle s’emmitoufle dans la beauté de ses souvenirs afin d’adoucir sa peine.
Tout s’écroule quand elle voit son père. Il lui apprend qu’il n’y a pas eu d’accident. C’était un suicide.
Derrière l’éclat de ton sourire est un court livre de poésie écrit par Sophie Gagnon-Roberge, la créatrice de Sophielit.ca. Il est inspiré par le drame qu’a vécu son autrice quand son frère s’est suicidé en 2018. Écrit en vers libres aisés à suivre et à visualiser, il touchera un grand public, bien qu’il vise avant tout les lecteurs adolescents.
Par souci de transparence, je dois dire que j’avais été ébranlé par l’annonce du suicide du frère de celle qui m’a accueilli dans l’équipe de Sophielit.ca. Même si je ne suis pas proche d’elle, je connais Sophie et l’apprécie depuis près de 10 ans. Vous comprenez donc que ce billet m’est particulier.
Il est assurément authentique et a été écrit en toute liberté, mais il est aussi amplifié par des émotions et des images qui m’habitaient déjà avant que débute ma lecture.
Derrière l’éclat de ton sourire est un livre coup de poing. Cette histoire personnelle, racontée poétiquement par une narratrice fictive, est crue, vive et brutale. La mort du frère chéri et l’apprentissage du suicide en forment le sommet, mais ne sont que la pointe de l’iceberg; c’est une fois passé le choc initial des nouvelles que surgissent de noires questions dans sa tête. L’ignorance de la douleur de son frère implique-t-elle « d’autres mensonges »? Elle qui croyait être sa confidente… Son suicide annule-t-il toutes les joies qu’elle se rappelle avoir vécues avec lui? Et surtout, aurait-elle pu faire quelque chose?
« La vie ne t’a pas volé.
Tu m’as abandonnée. »
Au fil des pages, le lecteur découvre progressivement la lettre d’adieu laissée par l’ainé, ce qui éclaire sur sa réalité. Je ne sais pas si cela peut aider à accepter l’inacceptable, mais une certaine compréhension de son désespoir doit probablement contribuer à cheminer dans un deuil, ou du moins à taire la petite voix qui ne cesse de poser trop de questions sans réponses. Cette lettre constitue assurément un moment fort de l'œuvre.
Néanmoins, le livre est aussi lumineux. Un peu comme quand on éteint une lampe, la nuit, et que nos yeux restent éblouis, la narratrice apprend à voir le beau qu’il lui reste de son frère après la mort. Tout ne sera jamais complètement rose, mais le deuil lui enseigne qu’elle n’a pas à cultiver sa peine pour garder vivant le souvenir de son frère. Malgré la tristesse du livre, la fin est éclatante et fait du bien.
Je termine avec quelques mots sur la forme. J’ai trouvé la poésie du livre très réussie. La narratrice s’adresse à son frère décédé avec force et dans une langue authentique pour les ados. Les figures de style sont puissantes et jouent habilement sur les sens. De plus, la typographie parfois surprenante accentue efficacement les propos.
« Les vêtements noirs
qui me donnaient l’air rebelle
sont devenus soudain
des habits de circonstance. »
On ne souhaite du noir à personne, mais, lorsqu’il survient, il faut apprendre à le traverser et à retourner vers la lumière. Je tâcherai de m’en rappeler et de rouvrir ce livre lors du prochain deuil que je devrai vivre. S’il donne envie de pleurer, il donne surtout, au final, l’envie de foncer dans la vie.
Bravo, Sophie, pour ce touchant et bouleversant premier livre de poésie!
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