Est-ce qu’on peut être ghosté.e par une amie ? Pas sa meilleure amie ? Comment survivre à la perte de celle avec qui on vivait tout, on partageait tout ? Surtout quand on la voit, elle, continuer d’être. Bien. Lumineuse.
Ça a commencé l’été, alors que tu attends qu’elle revienne de vacances, que les nouvelles de Léo, « ton amie boxeuse/ton amie armure/contre le monde entier » se font rares. Puis à la rentrée, les cheveux verts, la voix différente (ça y est, elle passera dans les altos), les signes qu’elle a changé sont bien présents. Mais c’est surtout l’absence de vos armoiries sur son sac à dos qui te permet de comprendre qu’elle est ailleurs.
« c’est sournois la disparition
ça s’installe en douce
s’infiltre par les fondations »
Celle qui te donnait le courage de t’affirmer se cherche loin de toi et s’accrocher perd peu à peu de son intérêt. Mais comment te construire alors que « tu ne sais pas encore/ t’habiter/ seule » ?
Partagé en plusieurs parties, ce récit en vers raconte la fin d’une amitié et s’attarde aux conséquences du vide. Attention, il y est question d’automutilation, de troubles alimentaires alors que le corps tend à disparaitre ou encore à remplir le vide. Pour lecteur.rices intermédiaires et avisé.es.
« avec elle
chaque jour est un sac à surprises
à tout moment tu peux tomber sur
le casse-gueule »
Très chouette nouveauté que celle-ci dans la collection Brise glace des éditions Boréal. On est dans une poésie qui raconte, avec un fil conducteur claire le long des cinq différentes parties du texte.
« Salle d’attente », « Pièces à conviction », « Avis de recherche », « Points de suture » et « Échappée », chacun des titres de ces passages est évocateur, intimement lié à ce qui suit, l’attente de l’été, alors que Léo est loin, le retour dans le temps qui permet de découvrir les bases de cette amitié qu’on pensait plus forte que tout, puis la disparition de l’autre telle qu’on la connait, la difficile acceptation et, finalement, l’espoir.
Sara Dignard possède une écriture tout en image, porteuse d’émotions fortes, mais aussi de flash du quotidien permettant à ses lecteur.rices de se reconnaitre. En filigranes, le passage entre le début de l’adolescence et l’autonomie, la fin du secondaire, quand on délaisse les dernières habitudes de l’enfance et qu’on laisse parfois derrière soi ces amitiés qui nous rappellent notre fragilité, « la trace gênante de son passé ».
J’ai aimé aussi le flou conservé entre l’amitié et l’amour, les premiers jeux de corps, un baiser, une « brèche » qui s’ouvre dans le ventre, ces émotions que beaucoup expérimentent et qui rendent ces premières « peines d’amitié » si puissantes, douloureuses au point, parfois, de se perdre soi-même au passage. Si les thématiques plus dures des troubles alimentaires et de l’automutilation auraient pu être approfondies (ou étaient-elles nécessaires réellement ?) parce que c’est dit sans l’être et qu’on ne comprend pas trop comment le personnage les surmonte, elles représentent bien toute l’ampleur du vide.
En bref? Un récit poétique puissant, rempli de passages brillants, à la fois accessible dès la première lecture et meilleur à la relecture !
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