Enfant, grandissant entre une ainée des plus parfaites et une cadette des plus étranges, Ortie expérimente, restant globalement sous le radar. Du moins jusqu’à ses 15 ans, alors qu’un mystère l’absorbe tout entière (et pourrait l’entrainer dans des ennuis encore pires que ceux dont elle a déjà fait les frais) : qui est cette sorcière qui ne maitrise pas ses pouvoirs et crée des catastrophes plus grandes que tout ce que l’imagination fertile d’Ortie pourrait imaginer ?
Quand l’adolescente découvre que sa sorcière est en fait un sorcier, et qu’elle comprend par le fait même ce qu’on fait des hommes dans son univers, Ortie se lance une mission : protéger ce sorcier-sorcière à tout prix. Peut-être a-t-elle perdu le nord, mais son courage, lui, est toujours bien vissé à son corps.
« Et, demanda Ortie, on en guérit ?
– Des chagrins d'amour ? On s'en fait des petites cicatrices dans la poitrine, noueuses et solides comme des dés à coudre. »
Bien que commençant durant l’enfance d’Ortie, du moins pendant qu’une version plus âgée d’elle observe ses souvenirs, Mille Pertuis est un récit de fantasy qui vise un lectorat habile et mature vu la nature et la forme du texte.
« Les pauses cependant n’arrivent jamais quand on a besoin d’elles. La vie fait semblant de vous accorder un répit, mais c’est un piège; par exemple, elle vous envoie une meilleure amie en ayant déjà tout prévu pour vous la faire perdre. »
Déconcertante. Voici le mot qui définit le mieux ma lecture, du moins sa première partie, beaucoup plus labyrinthique que la suite. Il faut dire que l’univers créé par Julia Thévenot, bien que faisant d’habiles références à une multitude d’autres œuvres littéraires connues dans le même genre, est original, déroutant. Perturbant même, tellement il va plus loin que ce à quoi on est habitué.es quand on parle de fantasy jeunesse, notamment dans le rapport au corps, qui est ici central, à la fois dans la notion de lien (et de sexualité, c’est un roman YA) que dans la notion biologique de la chose (parce que, sachez-le, une sorcière peut s’ouvrir le ventre et sortir ses intestins, ce qui est même conseillé dans l’enfance puisqu’il vaut mieux bien se connaitre soi-même si on veut se contrôler plus tard). « En vérité, le temps se crispe quand on le regarde passer. »
Mille Pertuis, c’est un livre écrit par une autrice qui a grandi avec Harry Potter et utilise ses références tout en naviguant à pleine vitesse dans le champ gauche, entre autres en mettant au cœur de son œuvre un féminisme brillant et affuté, un rapport constant aux pulsions physiques, une dureté dans le propos (le monde des sorcières peut être cruel, il faut le savoir) et un côté très cru : ça saigne (de partout, parce que oui, c’est une cup menstruelle sur la couverture), ça crache, ça se fait mal. Et c’est surtout rempli de perles, que ce soit des scènes fabuleuses (la scène de masturbation où Ortie se découvre est extraordinaire, tout comme la description de l’impatience de Wandrille devant l’anniversaire qui approche et la lettre attendue à ce moment) ou des phrases magiques, déposées comme ça, çà et là dans la lecture (j’en ai mis seulement trois ici, mais j’aurais pu en surligner une par page, c’est dire).
En bref ? Un récit débridé, original, à la fois ancré dans le monde littéraire actuel et complètement ailleurs. Chapeau !
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