À douze ans, lorsqu’il est découvert en territoire français caché dans une bétaillère, Koumaïl ne peut que répéter en boucle : « jemapèlblèzfortunéjesuicitoyendelarépubliquedefrancecélapurvérité ».
Des années plus tard, adulte et citoyen de la République, il reprend ses yeux d'enfant et raconte son histoire depuis le tout début, d’abord telle que la lui a racontée maintes et maintes fois Gloria, sa mère adoptive, puis selon ses propres souvenirs teintés de naïveté.
Recueilli par Gloria après le déraillement d’un train alors qu’il n’était que bébé, Blaise Fortune, renommé Koumaïl, a grandi en Géorgie au milieu d’un Caucase en guerre, sous le regard bienveillant de celle qui a dû quitter la terre familiale et son amoureux, Zemzem, pour échapper à la guerre. Persuadée que la France pourra accueillir et prendre soin de Koumaïl, Gloria l’entraine dans un long exil après que la milice ait découvert le vieil immeuble où ils habitaient. Munie du passeport de Blaise et de celui de sa mère, Jeanne Fortune, Gloria entraine le jeune garçon sur le chemin de sa patrie. Leur route sera parsemée de riches rencontres et d’embûches, mais quoique souvent tenaillés par la faim et devant se débrouiller avec les moyens du bord, ils seront pourtant presque heureux grâce aux histoires de Gloria et à sa lutte contre le désespoir.
Racontée sur le ton de l’autobiographie et donc avec toute la candeur de l’enfance, l’histoire de Koumaïl est un texte sur l’exil porté par l’espoir de bout en bout. Les thèmes des sans-papiers, de la guerre civile et de l'immigration sont traversés par le fils conducteur de la question des origines. Si le récit est complexe et le vocabulaire enrichi, les phrases simples du narrateur pourront permettre aux lecteurs intermédiaires de bien suivre. Il est aussi à noter qu’Anne-Laure Bondoux a créé un site internet très complet sur le roman, permettant ainsi aux lecteurs de suivre les chemins de son imaginaire et de son inspiration.
Mon avis
« Quand Gloria revient du travail, avec sur la figure une couche de poussière qui lui donne un air de Abdelmalik, je lui demande si c’est permis d’être heureux par temps de guerre.
Elle me regarde avec gravité et essuie ses joues crasseuses avant de répondre :
- Être heureux est recommandé par tous les temps, Monsieur Blaise! »
Je ne connaissais d'Anne-Laure Bondoux que la Princetta et le capitaine, qui m'avait fait un grand effet, et les bons mots de tous mes amis lecteurs chevronnés. J’avais donc des attentes assez élevées, mais je ne m'attendais pas a quelque chose d'aussi fort, d'aussi proche de moi malgré que la réalité dépeinte soit si loin de la mienne. Ce livre est un coup de coeur, tant sur le plan des mots que sur celui de l'histoire.
D’abord, l'auteure possède une écriture sensible, à la hauteur des yeux de ce narrateur qui découvre le monde au travers des pérégrinations dans lesquelles l’entraine Gloria. Les phrases sont courtes et les mots simples, mais le tout est musical, valsant sans cesse entre enfance et âge adulte, mais gardant toujours une candeur qu'il fait plaisir de lire.
« Voilà : j’ai dix ans, le cœur pulvérisé, les pieds en sang, l’estomac creux, et une fois de plus je pars vers l’inconnu avec Gloria et notre barda, sur des routes interminables. Nous sommes désormais des réfugiés sans refuge, et je crois bien que j’ai attrapé un désespoir. »
L’histoire est aussi très forte. Les histoires, devrais-je dire. Celle qui se dessine au fil des chapitres et nous montre comment Koumaïl devient vraiment Blaise, mais aussi toutes les plus petites, celles des gens rencontrés au fil du trajet, les Tsiganes en premier, et celles que Gloria raconte sans arrêt pour embellir la réalité et permettre à l’espoir de durer, toujours, à la lumière de se faufiler dans les ténèbres pour indiquer la bonne voie à suivre. Si bien qu’à la fin, alors que tous les fils se dénouent, on ne sait plus très bien ce qu’on préfère. La réalité, ou la légende tissée amoureusement pour protéger un cœur d’enfant…
En bref? Un roman à lire, à partager, à garder dans la bibliothèque pour les jours plus sombres, quand on craint d’attraper un désespoir, puisque les mots de Gloria sauront raviver la lumière et faire croire aux miracles…
Si vous avez aimé, vous pourriez être tenté par La Princetta et le capitaine et Le chemin de sable.
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J'aurais pu écrire votre critique tellement je suis d'accord avec vous. Énorme coupe de coeur!