Ivre de douleur, la jeune Léa ne réussit à oublier son amoureux perdu qu’en s’inondant les oreilles de musique. Lorsque sa vieille chaîne stéréo rend l’âme, elle arrache l’amplificateur et, avec un immense cri, le balance par la fenêtre. Après cet ultime hurlement, elle s’enfermera dans un mutisme total. Pierre, un activiste surnommé le « poseur de monstres » par les journalistes (il crée des sculptures humanoïdes qu’il dépose ici et là au petit matin, offrandes faites au nom de la solitude), passe par là au mauvais moment et reçoit l’appareil sur la tête. Il s’écroule, inanimé. Un garçon du nom de William est témoin de la scène et compose le 911, caché derrière des poubelles. Après les horreurs qu’il a vécues dans son pays d’origine, secoué par un tremblement de terre destructeur, il préfère ne pas se mêler de trop près à ce genre d’histoires. Pierre reprend conscience sur son lit d’hôpital, frappé d’illumination grâce au cri de Léa : pour représenter encore plus fidèlement le désespoir du monde, ses créatures doivent elles aussi crier.
Cette histoire réaliste met en scène un quatuor de personnages tous marqués par la souffrance, le chagrin, la solitude, le désespoir. Et leur façon de vivre ces émotions se fait à travers le (ou l’absence de) cri : Léa et son dernier hurlement avant de sombrer dans l’aphasie, William et les cris de terreur des victimes du tremblement de terre qui hantent ses souvenirs, David qui offre un livre, Le cri pictural, à William et des disques à Léa, alors qu’il tait le mal qui le ronge, et Pierre qui dépose ses créatures hurlantes dans la ville. Le style très littéraire, voire poétique, conviendra mieux aux lecteurs avancés.
Mon avis :
En lisant le résumé en quatrième de couverture, je m’attendais à un récit aux accents de SF, avec ces androïdes qui hurlent dans la ville. J’ai donc été un peu déstabilisée au départ, presque déçue, de découvrir une histoire réaliste. Cependant, l’écriture très belle de l’auteur nous plonge dans une atmosphère qui a quelque chose d’onirique, de profondément lyrique. La métaphore filée du cri, toujours à l’avant-plan, entraîne les personnages avec elle et leur trace un destin tout entier dédié au cri. Chaque événement, chaque geste posé est fait en écho avec celui-ci, est mis à son service. On a d’ailleurs parfois l’impression que les choses sont un peu trop « arrangées avec le gars des vues », comme lorsque Léa tombe sur cette sculpture qui crie : « Qui a volé ma langue que je n’entends plus? », elle qui, rappelons-le, a cessé de parler.
Malgré tout, la façon dont les chemins de Léa, William, Pierre et David se rejoignent est empreinte d’une beauté émouvante. Quiconque vit un moment de souffrance sera touché par ce livre. On ressent une grande compréhension de la part de l’auteur, une empathie pour ses semblables. Et ce, peu importe leur âge, leur condition ou la source de leur malheur. Aucun jugement de valeur n’est fait : tous sont égaux dans le désespoir. Et cette façon même de rapprocher les gens dans la détresse a quelque chose de lumineux, de pur, et laisse miroiter l’idée qu’il existe toujours de l’espoir. Un très beau roman pour apprendre à se reconstruire après s’être brisé.
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Merci à la maison d'édition Leméac pour le roman!
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