Entrevue avec Corinne de Vailly

 
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13 septembre 2012

Corinne de Vailly publie cet automne les deux premiers tomes de sa série Mélusine et Philémon, qui permet au lecteur de découvrir la réalité de Jérusalem en 1174 ainsi que la légende très connue de Mélusine. Au fil de ma lecture, je me suis questionnée sur tout le travail en amont qui doit être fait quand on se lance dans une telle aventure. Heureusement, la prolifique auteure a bien voulu répondre à mes questions!

La série Mélusine et Philémon  tourne autour de la légende de Mélusine de la région du Poitou en France. Comment avez-vous découvert cette légende? Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’utiliser dans une fiction?

Je m’intéresse aux légendes depuis une trentaine d’années et surtout celles de la mythologie celtique. Donc au cours de mes lectures, je suis tombée à de nombreuses reprises sur la légende de Mélusine (qui est sûrement celte à l’origine). Je m’étais toujours promis qu’un jour ou l’autre, je la ferais découvrir. Au moment de proposer un sujet à mon éditeur (Hurtubise), je n’ai pas eu à chercher très loin… cette légende hantait mon esprit depuis longtemps. Il suffisait de lui trouver un cadre intéressant pour la mettre en valeur.

Comment est née l’histoire de Mélusine et Philémon?

En m’intéressant de près à la légende de Mélusine et au Poitou, j’en ai bien entendu appris beaucoup sur la famille de Lusignan qui se réclame de la fée pour ancêtre. En faisant mes recherches sur cette famille, je me suis rendu compte qu’elle était très puissante au XIIe siècle. Deux de ses plus renommés membres furent roi de Jérusalem (Guy) et rois de Chypre (Guy et Amaury). J’en suis donc venue à m’intéresser à Sibylle (épouse de Guy), à son frère Baudouin le roi lépreux, et de fil en aiguille, le scénario de l’histoire a commencé à prendre forme. Avec la création du personnage de Philémon, cela me permet de suivre la légende et les faits historiques, tout en y ajoutant une trame tout à fait de fiction. Un ciment pour lier le tout.

Votre roman comporte de nombreux personnages historiques. Pourquoi avez-vous choisi d’utiliser des personnages qui ont vraiment existé? Qu’est-ce que cela apporte de plus au roman?

J’ai une passion pour les romans historiques et j’aime beaucoup mêler la fiction aux faits réels. C’est ce que j’ai fait pour ma série Celtina et ma série Phoenix, détective du Temps. Pour Mélusine, il était impossible de parler d’elle sans mentionner la famille Lusignan (qui est omniprésente au cœur de la légende), et par conséquent de leur statut à Jérusalem.

À mon sens, les faits historiques apportent une touche de vérité au récit. J’aime bien que le lecteur s’interroge : qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est inventé? L’Histoire est tellement riche en rebondissements, en passion, en aventures, en trahisons, en retournements de situation… On dit parfois que la réalité dépasse la fiction, pour ma part, j’en suis convaincue. L’Histoire constitue tout un monde à découvrir, pourquoi s’en priver.

Est-ce difficile d’utiliser ce genre de personnages dans une fiction? Comment leur met-on des mots en bouche? Faut-il se dissocier de leur réalité ?

Ce n’est pas toujours évident d’utiliser des personnages historiques, il faut surtout veiller à ne pas «trop» sombrer dans l’anachronisme (l’éviter totalement est quasi impossible à mon avis). Il faut beaucoup se documenter, notamment sur leurs actes, leur caractère et sur la façon de vivre à l’époque. Une fois que l’on cerne le personnage, on se l’accapare. Il devient presque un personnage de fiction. Ainsi, tout ce que j’ai lu sur le puissant comte Raymond de Tripoli, prince de Galilée, m’a été utile pour faire de lui un homme redoutable (ce qu’il était en réalité), j’ai juste eu à pousser le bouchon un peu plus loin pour les besoins de mon récit.

Pour les dialogues, un bon dictionnaire d’étymologie est indispensable. Par exemple, si je dois leur faire dire qu’ils vont utiliser tel ou tel objet, je dois m’assurer que cet objet existait sous cette forme et sous ce nom à l’époque où ils vivaient. Bien entendu, les dialogues ne sont pas écrits en langue du XIIe siècle, mais j’ai essayé de faire attention à ne pas employer des mots qui reflètent notre réalité et non la leur.

Par exemple, par souci de vérité, j’ai préféré le mot coustel (couteau, 1130) et non dague (1230) ou poignard (qui date de 1460), étant donné que mon histoire se passe en 1174.

Il ne faut pas non plus se dissocier de leur réalité. Au contraire. Ils ne se comportaient pas comme nous, ne pensaient pas comme nous. Ce qui peut nous sembler tout à fait horrible ou impensable aujourd’hui était la norme pour eux. Il faut essayer justement de ne pas tomber dans le piège de l’anachronisme «culturel» ou «social». On marche souvent sur un fil très mince. Il faut se mettre à leur place, au moment où ils vivaient, avec leurs tabous, leurs croyances, leurs façons de se comporter devant les événements de la vie quotidienne… Il faut le plus possible «être de leur temps». C’est difficile, mais c’est justement un défi très stimulant pour un auteur.

Donc vous avez fait beaucoup de recherches avant d’écrire?

Je fais toujours beaucoup de recherches peu importe le genre d’ouvrages que j’écris. Mais pour les romans historiques, c’est énorme. En plus d’essais sur Mélusine, j’ai lu aussi des ouvrages sur les croyances et les mœurs du Moyen Âge, des traités de chevalerie, des lais et des fabliaux médiévaux, des livres sur les croisades, sur Jérusalem pendant les croisades, sur les Arabes de l’époque, et sur chacun des personnages principaux. J’ai lu des milliers de pages. Il a fallu aussi trouver des plans d’époque, pour avoir une description précise des lieux, des noms de rues, des édifices déjà érigés, etc. Heureusement, aujourd’hui, grâce à Internet, la recherche se fait assez rapidement. On a accès à des sources distantes de milliers de kilomètres. La bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France est une mine d’or, les documents sont accessibles en quelques clics de souris.

Comme vous nous en avez parlé plus haut, votre texte comprend beaucoup de vocabulaire typique de l’époque. Certains sont d’ailleurs expliqués dans un glossaire. Comment avez-vous déterminé les termes que vous alliez utiliser tels quels? Y a-t-il eu un choix à faire en fonction du public cible?

Au fur et à mesure de l’écriture, les termes me viennent spontanément sous les doigts (même si je vérifie si certains mots sont bien d’époque). J’ai utilisé des termes vieillis – mais qui sont dans les dictionnaires –, de façon à donner un cachet à mon texte. Je ne cherche jamais à niveler par le bas, ni à vouloir aller au plus simple. En français, il y a un mot pour chaque chose et pour ses nuances… C’est un plaisir pour moi de trouver le mot juste. Pour les vêtements, les meubles, les accessoires, je me devais d’utiliser les mots de l’époque… sinon ça n’aurait eu aucun sens, l’atmosphère du roman s’en serait ressentie.

Vous êtes une auteure très prolifique, comptant nombre de livres dans de multiples genres. Y a-t-il un genre qui a votre préférence? Pourquoi?

J’aime le roman d’aventures historique mêlant la mythologie, la fantasy, la féerie. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours beaucoup lu sur les légendes du monde.

Mais mon amour pour le roman d’aventures historique me vient sans aucun doute de ma passion pour Les Trois Mousquetaires (ainsi que la suite : Vingt ans après, et Le Vicomte de Bragelonne) d’Alexandre Dumas que j’ai dévorés, lus et relus une bonne dizaine de fois depuis mes 12 ans. Et que je relirai encore et encore.

Écrivez-vous une seule histoire à la fois où cohabitent-elles dans votre esprit?

J’écris une seule histoire d’historique-fantasy à la fois, mais il m’arrive par contre de mener un autre projet en parallèle, par exemple écrire des contes ou une aventure de pirates pour les plus jeunes. Cependant, à cause de toute la recherche et du nombre d’heures qu’il faut consacrer pour un roman tel que Mélusine et Philémon, je ne pourrais pas mener deux projets similaires de front. Mais j’ai toujours 2-3 romans d’avance en tête (et parfois j’en écris le synopsis et le plan pour être prête au moment voulu.) En ce moment, j’ai deux projets de romans (pas de série) qui mijotent dans un petit coin de mon cerveau.

Vous écrivez beaucoup en séries, il me semble. Qu’est-ce que le fait d’écrire plusieurs romans avec les mêmes personnages vous apporte de plus? Avez-vous de la difficulté à quitter un univers après y avoir passé un bon moment?

En fait, j’écris en série depuis quelque temps parce que les choses ce sont présentées ainsi et que c’est ce que les lecteurs demandent. Mais j’ai aussi des projets de romans uniques. Mélusine et Philémon n’est pas une aventure qui aurait pu être écrite en un seul livre… j’avais trop à dire ;-) J’avais prévu de faire une trilogie, mais ce sera finalement une tétralogie (4 tomes). C’est en écrivant le tome 2 que je me suis rendu compte que mon histoire devait se poursuivre sur 2 volumes de plus.

J’ai cru que je ressentirais un grand deuil à la fin de ma série Celtina, mais finalement non… J’étais plutôt contente d’avoir mené mon projet à terme. J’ai toujours hâte de passer au roman suivant. Je n’ai pas la nostalgie de mes personnages… Ils ont vécu avec moi pendant que je leur donnais vie, mais ensuite ils continuent à vivre sans moi dans l’imaginaire des lecteurs.

Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture?

J’ai commencé à imaginer mes premières histoires vers l’âge de 8 ans, à l’école. J’ai écrit pendant toute mon enfance et mon adolescence, autant des historiettes que des poèmes. À 17 ans, je suis devenue journaliste, une autre façon d’écrire, et j’ai aussi écrit des textes de chansons notamment pour enfants, mais lorsque je me suis retrouvée à un tournant de ma carrière en 1991, j’ai décidé de faire le saut dans le vide vers le métier d’auteur (qui me faisait rêver depuis l’enfance), en me disant : advienne que pourra!

Que préférez-vous de votre métier? Qu’aimez-vous le moins?

Ce que j’aime le plus, c’est la liberté. Liberté d’écrire où je veux, quand je veux, de faire un métier où je ne suis pas enchaînée à un bureau de 9 à 5 ou à exercer des tâches répétitives. Si je n’ai envie de rien faire une journée, c’est correct. Personne pour me faire les gros yeux! Et puis, je peux changer d’univers au gré de ma fantaisie. Dans ma tête, je vis au XIIe siècle pendant quelques mois… mais avec tout le confort du monde du XXIe siècle dans la réalité.

Ce métier me permet aussi de voyager et de faire de belles rencontres. Je suis allée au Saguenay, en Gaspésie, en Abitibi, sur la Côte-Nord, dans le Bas-du-Fleuve, au Témiscouata, au Nouveau-Brunswick, dans la baie Georgienne (Ontario)… des endroits où, pour la plupart, je ne serais jamais allée, si on ne m’avait pas invitée en tant qu’écrivain.

Ce que j’aime le moins… c’est le revers de la médaille de la liberté : la précarité. Quand on commence un projet, on espère qu’il sera bien reçu, qu’il nous permettra de vivre (ou survivre) quelques mois. C’est toujours angoissant. Peu d’auteurs vivent de leur plume.

Rafale lecture !

Enfant, étiez-vous une grande lectrice?

J’ai toujours adoré lire… de tout et en tout temps. J’empruntais 3-4 livres par semaine à la bibliothèque.

Qui vous a donné le goût de lire?

J’ai appris à lire dès la maternelle. Dans mon village du nord de la France, il n’y avait qu’une classe pour tout le monde. Je me suis retrouvée avec des plus vieux qui apprenaient à lire, je les ai imités ;-) Je ne me souviens pas d’une journée de ma vie sans un livre à portée de main.

Êtes-vous aujourd’hui une grande lectrice? Que lisez-vous? 

Je lis tout le temps et de tout. Je viens de terminer les 4 «Intégrale» du Trône de fer et juste auparavant c’était Malphas de Patrick Senécal, et Culloden, la fin des clans de Valérie Langlois. J’aime les romans policiers, les romans historiques, les grandes sagas épiques…

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres?

Pour moi, un livre est aussi essentiel que la nourriture. Dès que je n’ai plus rien à lire, je me sens démunie. Je ne passe pas une journée sans lire. À l’adolescence, c’est par la lecture que l’on se forge une personnalité, en découvrant les penseurs, les philosophes, leurs analyses, leurs essais, mais aussi par les romanciers. Aurais-je pu en découvrir un petit peu sur la Colombie si je n’avais pas lu Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez? Me serai-je intéressée à la Russie sans Tolstoï et Soljenitsyne? À l’Amérique, sans Fenimore Cooper, Mark Twain ou Hemingway? Et même à la Suède, sans Henning Mankell? Probablement pas. Toutes ces lectures m’ont fait voyager et découvrir d’autres modes de pensée sous d’autres latitudes.

Quel est votre livre préféré?

Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, mon livre d’enfance.

Sinon, je crois bien avoir lu 5-6 fois Le pendule de Foucault d’Umberto Ecco.

Quel roman a marqué votre adolescence?

Je lisais beaucoup de classiques à l’époque : George Sand, Stendhal, Barbey d’Aurevilly, Théophile Gautier, Zola, Victor Hugo, Maupassant, Edgar Allan Poe, Charles Dickens, et surtout Balzac… j’avais une fascination pour son sens quasi maniaque du détail.

J’adorais Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain et Le Bossu de Paul Féval, et dans un tout autre genre, les romans d’espionnage OSS 117 de Jean Bruce.

Quel est le livre sur votre table de chevet?

Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, une brique de la collection Bouquins.

Dans quel endroit préférez-vous lire?

Dans mon lit toujours. Coincée par une pile d’oreillers. C’est un moment magique de pure détente. Je pars loin…

Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous?

Astérix, d’Uderzo et Goscinny : … Pouvoir disposer d’un peu de potion magique parfois, ça ferait du bien.

Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui accrocheront à l’univers de Mélusine et Philémon?

Littérature jeunesse: Ivanohé de Walter Scott (un classique) ou encore Le chevalier Jordan de Maryse Rouy

Jeunes adultes et adultes: Damné d’Hervé Gagnon

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