Comme je le disais hier dans l'animé du jeudi, je ne suis pas amatrice de sang et d’horreur, mais j’ai quand même dévoré les deux premiers tomes de la série Cobayes, attirée par le concept de la série à plusieurs plumes, mais aussi parce que je connaissais bien Eve Patenaude et Marilou Addison, deux auteures jeunesse prolifiques, et que j’aime bien leur écriture. Au fil du récit, je me suis d’ailleurs demandé comment elles avaient fait pour passer d’un univers à l’autre, Cobaye étant vraiment plus sombre et violent que leurs univers habituels. Voici leurs réponses !
Marilou : Tout d'abord, j'ai été très touchée de voir la confiance que m'accordait la maison d'édition. De savoir que les éditeurs avaient pensé à moi pour un tel projet, c'était flatteur. Comme ça a rapidement cliqué avec les autresauteurs, je n'ai pas hésité une seule seconde. Lors de notre première rencontre de groupe, les idées fusaient, les rires étaient au rendez-vous et tout le monde mettait son grain de seul. Je me suis sentie à ma place. Souvent,en tant qu'auteur, on ressent ce fameux "syndrome de l'imposteur". On se dit qu'on ne devrait pas être là. Que les autres vont inévitablement se rendre compte qu'on n'a pas sa place parmi eux... Mais pas cette fois-ci. J'ai tout de suite su que je voulais en être. Et de bénéficier des idées des autres pour faire avancer notre propre écriture était un avantage certain.
Eve : J'avais déjà participé à un projet de groupe avec la gang des Clowns vengeurs (j'ai écrit Clandestine dans cette série), et j'avais adoré mon expérience. C'est un beau défi, très stimulant, que de devoir tenir compte des écrits des autres, de s'adapter à un moule, aussi souple soit-il. Mais cette fois-ci, je sentais qu'on me proposait d'aller plus loin encore dans le travail collectif, et j'ai tout de suite eu envie d'embarquer. Tout le monde était tellement enthousiaste! Comme auteur, on est presque toujours confiné dans notre bulle, dans notre sous-sol devant notre ordinateur. À part dans les salons du livre, on est rarement appelés à se côtoyer. Alors, de participer à un «trip» de gang comme ça, c'était fabuleux!
Marilou : Les Éditions de Mortagne ont été très vagues sur le style de roman qu'ils voulaient. Leur idée de base était surtout de créer des romans chorales, où les personnages s'entrecroiseraient. Ils étaient ouverts à l'horreur, mais aussi à nos suggestions. Ils nous ont donné les informations de base, puis les sept auteurs présents ont fait le reste. Et avec sept cerveaux qui carburent à cent à l'heure, ça peut facilement aller dans toutes les directions. Les éditrices étaient là pour mettre les balises. Tout le monde a participé à la création du projet COBAYES.
Eve : C'est vrai ! Quand on nous sommes arrivés dans les bureaux des Éditions de Mortagne, on ne savait même pas pourquoi on nous y avait conviés! L'invitation était très mystérieuse... Et quand on nous a proposé ce projet de groupe, il était clair dès le début que les éditrices ne voulaient pas nous imposer un sujet, un thème ou un cadre précis. Seulement le principe que la série comporterait X tomes, chacun écrit par un auteur différent. Il fallait trouver le concept qui nous permettrait d'exploiter ça au maximum. On a décidé tous ensemble. Les éditrices semblaient avoir envie d'aller plus vers le grand public, et vers les genres comme le thriller, le suspense, l'horreur, mais sans rien nous imposer. Nous avons «brainstormé» toute la gang, et nos idées nous ont amenés vers le projet Cobayes. C'était vraiment une expérience hors du commun de voir naître un projet d'une telle envergure dès ses balbutiements, et d'y participer activement!
Eve : Si on parle de la discussion initiale, le «brainstorm» de la première rencontre, on a évalué plusieurs possibilités avant d'en arriver à l'idée des cobayes. Mais chaque fois, l'un d'entre nous disait: ah, mais non, ça ne fonctionne pas pour telle ou telle raison. Il fallait que nos personnages puissent vivre leur histoire de façon autonome, sans dépendre des autres, mais qu'ils soient tout de même liés par un élément commun, quelque chose de simple et de fort. À partir du moment où l'idée de Cobayes et apparue, on a tous fait: hé, oui, ça marche, ça! Trop génial! Et après cela, le projet ne s'est pas vraiment transformé, il s'est seulement peaufiné. On a pu développer chacun de notre côté nos personnages et notre histoire, et ensuite se consulter pour les (tellement nombreux!) détails.
Eve : Honnêtement? Non, pas du tout! Sur le coup, pendant la réunion chez De Mortagne, j'étais hyper emballée. Et là, quand est venu le moment de mettre en scène mes personnages, de les forcer à sombrer dans l'horreur, j'ai eu une grosse remise en question. Je n'étais pas certaine de me sentir capable d'aller aussi loin. J'avais déjà touché à la violence avec mes précédents écrits, par l'intermédiaire de la guerre ou d'idéaux de justice, mais jamais encore n’avais-je dû faire face à de la violence aussi... «gratuite». J'en ai parlé avec les autres auteurs du projet et avec nos éditrices, et tout le monde s'est fait rassurant: je ne deviendrais pas une mauvaise personne même si j'écrivais de l'horreur. J'ai compris par contre qu'il me fallait aborder ce projet selon un angle qui «justifierait» cette violence; pour moi, ça a été la vulnérabilité. Ça a été comme une illumination: j'ai écrit le mot en gros sur un Post-it que j'ai collé bien en vue à côté de mon ordinateur. Et je suis restée fidèle à ça tout au long de l'écriture.
Marilou : Comme j'écris souvent pour les ados de 14 ans et plus, ce n'était pas un problème pour moi. Ce n'est qu'après publication et relecture de mon roman que j'ai pris conscience de certains tics d'écriture que j'avaiset qui se rapprochent encore un peu trop de l'écriture jeunesse. Comme je veux renouveler l'expérience et écrire encore pour un public adulte, je tente de corriger ce défaut.
Marilou : Ça se remarque surtout dans ma ponctuation légèrement excessive. C'est fou la quantité de points d'exclamations et de trois petits points que je mets un peu partout !
Marilou : Non... J'aime l'horreur, je trouve cela stimulant et le fait de ne pas avoir à se censurer (ou presque) a été très agréable au moment d'écrire. Quand mon manuscrit a été terminé et que je l'ai envoyé à l'éditeur, je me suis évidemment demandé s'ils accepteraient toutes mes folies. Mais les Éditions De Mortagne étaient très ouverts et ils ont plongé dans mon délire sans se poser de question.
Eve : Une fois que j'ai accepté le principe de vulnérabilité, ça a coulé tout seul hors de moi, l'histoire de Sarah et de Sid. J'étais surtout contente de pouvoir aborder aussi franchement leur histoire d'amour, car, dans mes romans jeunesse, on me demandait souvent de la réduire au minimum pour ne pas refroidir les lecteurs masculins... Là, je me suis donné toute la latitude voulue! Pour ce qui est du côté horreur, pour les raisons que l'on connaît, j'ai eu certaines difficultés à laisser mon imagination courir en toute liberté... Chez De Mortagne, on m'a même demandé si je pouvais pousser un peu plus loin, ce qui m'a obligée à réévaluer mes limites; je suis vraiment sortie de ma zone de confort, pour ce livre, ça, c'est sûr!
Marilou : Pas nécessairement pour m'inspirer, mais il est vrai que je suis une grande consommatrice de romans et de films d'horreur. J'en lis et j'en écoute très souvent. Pour me détendre...
Eve : Je suis TERRIFIÉE par tout ce qui est horreur! Je n'en lis jamais parce que ça me fait faire des cauchemars. Quand une bande-annonce d'un film d'épouvante passe à la télévision, je saute sur la télécommande pour mettre le mode silencieux, je me cache les yeux, et je demande à mon mari de me dire quand ce sera terminé! Je suis très impressionnable! Autrefois, j'ai lu plein de Stephen King et de Frissons, mais on dirait que, depuis que j'ai des enfants, je ne supporte plus les histoires d'horreur... mais je suis apparemment capable d'en écrire, allez savoir pourquoi!
Marilou : Les scènes où nos personnages s'entrecroisaient, je dirais. Ou encore, lorsqu'un personnage récurrent dans chaque roman devait parler. Par exemple, le docteur Williams tutoyait mon personnage (Anita), alors qu'il vouvoyait un autre personnage, dans un autre roman. Gros débat sur la question. Le docteur doit-il tutoyer ou vouvoyer.? Ça semble anodin, mais pour permettre la crédibilité du docteur, on devait trancher la question... C'est ce genre de détails qui rallongeaient mon écriture, je dirais.
Finalement, est-ce que le docteur tutoie ou vouvoie ses patients ?
Marilou : Le docteur vouvoie ses patients, mais il a une relation paternelle avec Anita, alors il la vouvoie au début, puis il passe au tutoiement.
Eve : Si vous saviez le nombre de détails dont il a fallu débattre, c'était fou! Tout le monde tenait à avoir un maximum de cohérence dans le projet, alors c'était primordial. Marilou et moi partageons une ou deux scènes qu'il a fallu écrire ensemble, surtout pour le dialogue. La narration, c'était moins difficile parce que chaque récit est construit selon le point de vue narratif de notre personnage, alors tout passe à travers leur perception. Mais les dialogues, c'est du concret, quelque chose qui ne peut bouger d'un tome à l'autre. C'était un bien beau défi, et j'ai rencontré en Marilou une auteure aussi attentive aux détails que j'essaie moi-même de l'être! On s'est bien amusées! Sinon, d'un point de vue personnel, la scène la plus violente de mon livre a été très, très dure à écrire. J'imagine qu'elle est tout aussi dure pour lecteur. Mais elle était nécessaire pour montrer la profondeur du gouffre dans lequel mes personnages étaient tombés.
Marilou : L'évolution de mon personnage vers sa folie. Le crescendo de démence dans lequel elle était entrainée malgré elle. Et tout le côté un peu maniaque de mon personnage. J'ai adoré plonger dans l'univers phobique d'Anita.
Eve : Les dialogues entre Sarah et Sid. J'ai fait du sous-titrage pour malentendants dans le passé et, grâce à ça, les dialogues me viennent relativement naturellement. J'ai beaucoup aimé voir interagir mes personnages en tant que couple. C'est dans les mots qu'ils échangent qu'on comprend le mieux où s'en va leur relation, je crois. Du moins, c'est ce que j'ai essayé de rendre. Et j'ai beaucoup aimé aussi devoir créer deux voix narratives distinctes. Pour moi qui n'avais pratiquement jamais écrit au «je», c'était un double défi! Mais j'espère y être parvenue assez honorablement.
Marilou : Parfois, cela ralentissait mon écriture, car je devais vérifier des détails avec les autres auteurs. Mais la plupart du temps, c'était hyper stimulant. On avait l'impression que tous nos cerveaux fonctionnaient en même temps. Certains matins, nous étions tous branchés sur Internet et dès qu'on posait une question à l'un d'entre nous sur notre page secrète, cette personne répondait immédiatement. C'était très intense.
Eve : C'est exactement ça! Un beau sentiment de symbiose nous animait tous. C'était enlevant. Les deux projets de groupe auxquels j'ai participé sont ceux qui m'ont permis d'écrire le plus rapidement. J'étais dans un sentiment d'urgence, d'excitation, à force de partager l'expérience avec les autres auteurs. C'était super fort, d'un point de vue créatif, malgré les moments où ça coinçait, par exemple lorsqu'on ne s'entendait pas nécessairement sur tel ou tel détail.
Marilou : J'ai adoré le roman d’Eve! Ses personnages sont beaucoup plus attachants que le mien, d'ailleurs. On a le goût de les protéger, de les aimer, tandis qu'Anita n'est pas à proprement parlé quelqu'un de très sympathique... Mais elle d'autres qualités ;-)
Eve : Oh, comme je l'ai trouvé dur! J'avais le coeur qui se serrait à chaque fois que je tournais une page de plus. Mais l'écriture de Marilou est remarquable en ce sens qu'elle nous fait sentir à travers chaque mot, choisi avec soin, la psychologie d'Anita. On se met quasiment à penser comme elle! C'est un grand tour de force. Et de voir jusqu'où elle va... ça m'a bouleversée. Une lecture troublante, mais vraiment géniale.
Marilou : Elle m'a certainement donné le goût d'écrire d'autres romans d'horreur pour adultes ! Et si jamais mon éditeur me propose encore un projet du genre de ce roman chorale, je serai la première à dire oui !
Eve : Les projets de groupe, j'adore! Alors, c'est sûr que j'embarquerais à nouveau si on me le proposait. Quant à l'horreur... je suis ambivalente. Ça a été une expérience difficile par moments pour moi. Je pense que, pour un temps du moins, je vais revenir aux genres qui me sont plus naturels, tels que la science-fiction et le fantastique. Mais je vais certainement me sentir plus à l'aise d'aller plus loin dans ces genres-là; je sais que le territoire que je peux toucher par l'écriture s'est étendu grâce à Cobayes. Je travaille présentement sur un texte très dur, mais qui me permet justement de réfléchir à toutes ces questions morales qui m'ont tourmentée pendant l'écriture de Sarah et Sid. Ils n'auront donc pas souffert pour rien, les pauvres : ils m'auront ouvert la voie vers des profondeurs dans lesquelles je n'aurais sans doute pas plongé sans eux!
Si vous ne les avez pas encore découverts, vous pouvez lire dès maintenant Anita et Sarah et Sid ainsi que le troisième tome de la série, Yannick, écrit par Martin Dubé !
Écoutez aussi Eve Patenaude nous lire un extrait de Sarah et Sid !
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